Jusqu’au 7 avril 2024, le Musée Maillol propose une grande rétrospective du congolais Chéri Samba, dessinateur, peintre et aussi reporter, à travers ses images des mutations du monde. 50 ans de couleur, 60 toiles et 5 thèmes qui nous font revisiter le monde d’hier et d’aujourd’hui.
Parti vivre à 16 ans dans la vrombissante Kinshasa, Chéri Samba a été reconnu très vite comme dessinateur, puis comme peintre dans sa ville. Il est repéré dès 1982 par Jean-François Bizot et Actuel et il participe dès 1989 à la fameuse exposition « Les Magiciens de la terre » au Centre Georges-Pompidou. Il est connu par Jean Pigozzi au moment même où ce dernier décide de commencer, avec André Magnin, sa mythique collection d’art africain contemporain. C’est de cette collection que les 60 toiles de la rétrospective sont tirées. Le parcours est thématique et permet de se confronter à un peintre populaire, de renommée internationale, venu d’Afrique, alors même que le continent entier est encore très absent des musées internationaux.
C’est ce paradoxe et cette trajectoire qu’expose l’affiche et première toile frappante « J’aime la couleur ». Inspiré par le dessinateur Escher, Samba s’y représente comme un tourbillon noir… de couleurs. Peintre, il est, mais pas que… Dès la première section sur « l’autoportrait comme usage du monde », l’on nous explique combien le texte compte chez Chéri Samba. Il appelle ses jeux de mots en Lingala, Kikongo et Français : « La griffe sambaienne ». Sur une grande toile, l’on passe très officiellement des soutiens-gorges, peut litre «Peinture avec des sexes, eh pardon je voulais dire des peintures avec des textes ». Belle transition vers les femmes dans l’art de Chéri Samba, qui sont pratiquement toujours plurielles sur la toile et dont la nudité est souvent allégorique – voire surréaliste.
En grimpant à l’étage, on commence sur la droite par la partie la plus politique. L’histoire et la politique du Congo semblent peu représentées, même si le tableau « Le Petit Kadogo » représentant un enfant-soldat de 2003, rieur et presque issu d’une BD, est toujours aussi saisissant. La partie sur le monde est presque plus intéressante, avec une immense peinture quasi religieuse sur le 11 septembre. On aimerait alors un peu plus d’accompagnement et de contextualisalisation sur ce que les toiles et les cartels contiennent, mais l’on est happé, résolument.
La dernière partie de l’exposition est la plus fascinante, notamment avec le triptyque « Quel avenir pour notre art ? » qui date de 1997 et comporte peu de texte. On y voit un Picasso noir accompagner Chéri Samba, avec des masques ou une toile à la main. Une population réellement métissée se tient sur le parvis du Centre Pompidou. Chéri Samba pose la question de la très petite place des artistes africains et d’origine africaine dans le milieu de l’art contemporain, alors que lui-même a su se faire connaître très tôt sur la scène internationale. D’ailleurs, on le voit bien à travers un film des années 1980 sur son influence dans son quartier de Kinshasa , ainsi qu’à travers le portrait de son collectionneur de choix, Jean Pigozzi. Le paradoxe est touchant et important, alors que désormais AKAA (Also Known as African Art) est une étape incontournable de la semaine d’art d’octobre en France. Paris attend ainsi des stars absolues du l’art africain ou afro-américain comme Fahamu Pecou. De son vivant, Chéri Samba semble déjà « historique », mais ses couleurs continuent de nous percuter.
Illustration : Chéri Samba, J’aime la couleur, 2003, Acrylique et paillettes sur toile, 206 x 296,7 cm
Maurice Aeschimann / Courtesy The Pigozzi African Art Collection © Chéri Samba