Expositions

Boris Zaborov à la Maison Caillebotte : une œuvre entre mémoire et exil

par Sarah Lakhal
28.05.2025

L’artiste biélorusse Boris Zaborov renaît à travers l’exposition « Peindre la mémoire », présentée à la Maison Caillebotte de Yerres, jusqu’au 21 septembre 2025.

Quand la mémoire devient image

Né à Minsk en 1935, Boris Zaborov a grandi dans une Union soviétique marquée par la guerre, la censure et l’exil intérieur. En 1981, il quitte définitivement l’URSS et s’installe à Paris, où il entame véritablement sa carrière de peintre. Cet exil volontaire devient le fil conducteur de son œuvre : un art traversé par la perte, la nostalgie et la quête d’un passé qu’on ne peut ni fuir ni vraiment retrouver. L’exposition « Peindre la mémoire » rassemble une série de pièces entre les années 1980 et la fin de sa vie. Le fil rouge ? La mémoire familiale, et plus largement, celle d’un peuple. Le plus souvent anonymes, les portraits dominent, ils semblent sortir de photographies jaunies, comme si le peintre les avait sauvés in extremis d’un effacement certain. Les couleurs sont sourdes, souvent grisées, les contours flous, comme mangés par le temps.

Nous déambulons d’une salle à l’autre, traversant l’exposition comme on traverse un rêve. Des visages disparus nous regardent, silencieux, tandis que nous les scrutons à notre tour. Parfois nets, d’autres fois flous, rayés, presque effacés, ces présences acryliques semblent défier le temps, telles des apparitions mystiques.

Boris Zaborov tente de fixer sur la toile une mémoire fragmentée, vacillante, mais tenace. Ces visages, surgis d’un passé personnel et collectif, paraissent vouloir vivre pour toujours. La mort, thème récurrent dans l’imaginaire russe, trouve chez Zaborov une profondeur à la fois intime et universelle.

Un parcours entre censure et liberté

Refusant les cadres imposés, l’artiste ne s’inscrit dans aucun mouvement contemporain précis. S’il emprunte au symbolisme, à l’expressionnisme, voire à l’art conceptuel par son usage de l’archive, son style reste profondément personnel. En passant du crayon sur papier à l’acrylique, de nombreux autoportraits caractérisent également ses travaux. L’une d’elle, L’Artiste et son modèle datant de 1998, interpelle particulièrement. Comme son titre l’indique, l’artiste se représente lui-même dans la toile, pinceau à la main, avec en arrière-plan une jeune fille nue, assise. Cette mise en abyme autoportrait montre que le peintre n’est rien sans son modèle.

Les motifs nus, femmes de tout âge, occupent également une certaine place dans cette exposition. Elles ne sont pas sexualisées et témoignent d’une volonté de représenter la liberté des femmes qui se distingue de la peinture souvent érotisée de la Renaissance. L’utilisation de la peinture acrylique lui offre la possibilité de créer cet effet de flou, brumeux que l’on retrouve dans la majorité de ses œuvres, avec une transparence que l’huile ne peut reproduire. Peintre et illustrateur, il cultive une certaine liberté stylistique. Son œuvre, singulière, s’émancipe des règles pour mieux capturer l’indicible.

Ce parcours d’œuvres nous permet de découvrir Zaborov sous toutes ses facettes : sa passion pour les livres et la littérature, son amour pour les chiens, ses voyages (en Asie notamment). C’est comme s’il nous livrait lui-même, à la manière d’un journal intime, sa propre mémoire. L’artiste biélorusse n’est pas seulement peintre et illustrateur, mais également décorateur de théâtre, cinéaste et sculpteur. C’est l’occasion de découvrir sa bibliothèque de livres en bronze sculpté ainsi que son lien étroit avec le théâtre. Dans l’URSS communiste des années 1960, Boris Zaborov imagine plusieurs décors pour des pièces de théâtre mises en scène par Piotr Fomenko, futur metteur en scène de renom. Mais la plupart de ces projets ne verront jamais le jour en raison de la censure soviétique. Plus tard, en France, son métier de décorateur de théâtre se concrétisera à travers des décors et costumes pour plusieurs pièces à la Comédie-Française.

L’exposition est une méditation visuelle sur la mémoire, l’exil et l’identité et parle à chacun d’entre nous, à l’endroit où l’histoire personnelle croise l’Histoire collective.

Peindre la mémoire est à découvrir jusqu’au 21 septembre à la Ferme Ornée de la Maison Caillebotte. Profitez-en aussi pour explorer ses jardins, visiter la maison du peintre impressionniste Gustave Caillebotte, et découvrir en parallèle l’exposition Matière-Lumière d’Evi Keller à l’Orangerie.

Peindre la mémoire, Boris Zaborov, à la Ferme Ornée de la Maison Caillebotte jusqu’au 21 septembre 2025.

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