Pour sa 12ème édition de Regards d’artistes, le Domaine de Trévarez a invité le photographe et vidéaste Bertrand Gadenne à s’inspirer du lieu. Un parcours art et nature qui joue avec les limites.
Situé à 30 min de Quimper, le château du Domaine de Trévarez a été construit entre 1893 et 1907 par James de Kerjégu comme résidence pour ses parties de chasse avec sa famille est ses amis. Installé au cœur d’un parc de 85 hectares, le bâtiment ouvre sur un panorama à couper le souffle, embrassant les monts d’Arrée et l’Aulne, le canal reliant Nantes à Brest. Derrière la façade en brique rouge de Nantes et en pierre noire de Brest se cachent une structure métallique à la pointe de la modernité et des équipements tels que le chauffage central, le téléphone ou encore deux ascenseurs. Mais pendant la Seconde Guerre mondiale, le château a été occupé par l’armée allemande et bombardé en 1944, ce dont il porte aujourd’hui encore les traces. Racheté en 1968 par le département, le Domaine rouvre depuis progressivement au public et l’on peut y découvrir les différentes strates de son histoire.
Si le Domaine de Trévarez est reconnu « Patrimoine du XXe siècle », le parc est classé Jardin remarquable. Il se compose d’un jardin régulier, d’un jardin classique à l’italienne, d’un jardin de rocaille avec ses cascades aménagé dans une ancienne carrière, et d’un jardin japonais aujourd’hui presque disparu. Mais ce sont ses trois collections végétales qui le distinguent réellement : sa collection de camélias lui a valu la reconnaissance internationale de Jardin d’Excellence, sa collection de rhododendrons est labellisée Collection nationale spécialisée, et sa collection de 120 variétés d’hortensias égaye le parc tout l’été. Avec de nombreuses plantes centenaires, on compte 750 variétés de camélias et 600 variétés de rhododendrons qui fleurissent le parc la majeure partie de l’année, faisant la joie des botanistes comme des amateurs de fleurs.
C’est donc dans ce cadre remarquable que Bertrand Gadenne est venu s’installer pour une carte blanche, succédant à des artistes comme, l’année dernière, Felice Varini, Shigeko Hirakawa, Eva Jospin, Bob Verschueren ou Raija Jokinen. L’artiste a chaque année une liberté totale concernant son intervention, et Bertrand Gadenne a choisi de s’intéresser à la faune et à la flore, dans la lignée de sa pratique. Il a mélangé des vidéos existantes et un travail photographique inédit créé pendant sa résidence au Domaine et s’est installé en intérieur, dans le château et les écuries.
Animaux sauvages, humains et végétaux sont tous extraits de leur contexte en étant placés sur un fond noir, comme s’ils étaient des sujets d’étude, ou des archétypes de leur espèce. De cette obscurité, ils émergent dans toute leur luminosité et les nuances de leurs couleurs, donnant des images aux détails précis. Les animaux représentés ici en vidéo ont été sélectionnés en lien avec les motifs du Domaine, qu’ils soient sculptés ou vivants. Certains sont agrandis pour rétablir le rapport de force avec l’humain-spectateur, ce qui nous place alors tous au même niveau. Ainsi, l’homme n’est plus dans ce rapport de domination qu’il a mis en place en s’extrayant artificiellement du Vivant. Mais l’ambivalence de l’animal sauvage enfermé pour être filmé nous rappelle que la frontière entre nature domestiquée et nature sauvage reste fluctuante, et pas toujours là où on l’imagine.
Dans les salles du château, où la rénovation est partielle et laisse voir le passage du temps par endroits, Bertrand Gadenne a choisi d’exposer deux séries : La Branche d’arbre et Les Hydrangeas. Récoltées dans le parc, les branches sont couvertes de mousses et de lichens, créant un paysage recomposé fourmillant de détails, mais évoquant la décomposition. Il s’inscrit dans la droite ligne de l’histoire de la nature morte et des vanités, mais ces memento mori sont paradoxaux. En effet, si la présence de mousses sur un arbre peut suggérer le passage du temps, le cycle du pourrissement qui transforme la branche en nutriments pour de nouvelles formes de vie, elle est également le signe que l’arbre pousse très lentement, comme certains camélias centenaires du parc peuvent en témoigner. Ainsi, certaines parties du château semblent en ruines, mais elles sont la base pour la création d’œuvres contemporaines et pour imaginer l’évolution future du bâtiment.
Avec ses images faussement simples d’un vivant faussement sauvage, Bertrand Gadenne a réussi à créer une connexion avec le Domaine de Trévarez légère et délicate. Discrètement, il nous entraîne dans une fable dont le Domaine est le personnage principal, dans laquelle nous nous laissons emporter comme des enfants émerveillés.
Bertrand Gadenne – Les images réfléchies
Du 29 avril au 08 octobre 2023
Domaine de Trévarez – Chemins du patrimoine en Finistère
Visuels :
1-La Branche d’arbre, 2023. Bertrand Gadenne. Domaine de Trévarez © Bertrand Gadenne
2- Le château de Trévarez – FLYHD -9879
3- La Branche d’arbre, 2023. Bertrand Gadenne. Domaine de Trévarez © Philippe Robin
4- Le Cerf, 2016 et Le Cheval de bois, 2023. Bertrand Gadenne. Domaine de Trévarez © Philippe Robin
5- Les Images réfléchies, 2023. Bertand Gadenne. Domaine de Trévarez © Philippe Robin