Alors que la Bibliothèque Nationale de France place en son site Richelieu sa saison sous la bannière du thème «Le monde pour horizon», l’invité permanent des trésors révélés à cette occasion est le plasticien camerounais Barthélémy Toguo. Nous savons depuis un bout de temps que les civilisations sont mortelles, mais passées au crible de l’art, elles s’universalisent et s’actualisent dans une magie des sens et des couleurs.
Dans le cadre de sa nouvelle thématique annuelle “Le monde pour Horizon”, la BNF présente en galerie Mazarin des trésors rares et multiples comme La Carte marine de la Méditerranée et de l’Asie par Muhammad Alî al-Sharafî al-Safâqusî réalisée en 1600 en langue arabe ; la lettre adressée par Soliman le Magnifique à François Ier qui marque le début de l’alliance entre la France et l’Empire ottoman ou encore un exceptionnel dessin d’Eugène Delacroix du danseur François Simon, et enfin la célèbre affiche
Divan japonais d’Henri de Toulouse-Lautrec (1893). Invité à intervenir toute la saison au cœur de cette sélection des collections, sous le commissariat de Hafida Jemni, le plasticien camerounais Barthélémy Toguo a posé ses installations, ses émaux et ses grandes aquarelles au sein de notre Bibliothèque nationale.
Dès le pas de la porte, les “druides”, grandes silhouettes monochromes aux couleurs douces du peintre dialoguent avec des objets précieux, ses assiettes immenses et également d’une seule couleur, jouent les miroirs avec la numismatique et ses grandes poteries surmontées de têtes qui sont des autoportraits impériaux habillent de mystère les rayonnages vides et nombreux d’une pièce mise au service des archives, une pièce au nom qui résonne forcément avec celui de l’artiste.
Les deux installations les plus marquantes jouent génialement avec l’architecture du grand siècle : Dans le grand escalier d’honneur restauré du site Richelieu de la Bibliothèque Nationale de France, le buste de voltaire côtoie une grande installation de livres avec des filets et des silhouettes de migrants qui les observent en contrebas. Il s’agit de l’oeuvre A Book is my Hope, qui fait écho à la destruction des manuscrits de Tombouctou au Mali en 2012 et montrée pour la première fois en France. Quant à la passerelle qui permet d’observer la majestueuse cour d’honneur, elle aussi restaurée, elle se pare de grandes mains rouges tendues vers le ciel, ce sont littéralement des «offrandes» que nous propose, toujours à vif et toujours également généreux de symboles humanistes, le fascinant Barthélémy Toguo.
En traversant ainsi les époques et les continents, en nous laissant à la fois surprendre et guider par des œuvres très personnelles appartenant au panthéon désormais assez familier du grand Barthélémy Toguo, l’on se prend soi-même à se sentir chez soi partout. Les grands enjeux actuels sont là : l’exil, le déracinement, la carte et le territoire, le passé qui perd doucement son éclat ; avec l’aura des moments qui restent suspendus pour l’éternité. L’histoire très personnelle croise l’histoire officielle de ce qui a été conservé – et- grâce aux œuvres de Toguo, l’histoire toujours tue mais encore active des vaincus. Une manière de renverser les sorts pour rendre des archives réellement universelles.