Au MACVAL, le mystère s’épaissit autour des faits divers

Le fait divers fascine autant qu’il dérange. Il n’entre pas dans les grandes catégories de l’info, se faufile entre les faits de société, la politique ou encore l’économie, les associe ou les prend à contrepied. Souvent affublé de titres moqueurs ou absurdes, il résiste à la définition unique tant il est polymorphe, allant de l’agression sexuelle aux accidents dus à la neige, en passant par l’étudiant qui mange une souris vivante. Mais ces évènements prennent tous racine dans le quotidien de la cohorte des anonymes, à laquelle les journalistes n’auraient pas prêté attention sans ce petit détail qui fait vriller la routine.

Qu’est ce qui retient donc tant notre attention dans les faits divers ? Pourquoi existe-t-il autant de podcasts et d’émissions télé autour du « true crime » ? Toutes ces histoires nourrissent nos imaginaires, servent de base à la fiction, nous divertissent, dans une dynamique de fascination frisant le voyeurisme. Car ces histoires sont celles de nos voisins, de nos proches, de notre quartier. Elles montrent ce qui se cache sous la surface du vernis social et affirment une complexité de l’humanité qui incommode. Comment ne pas être fasciné par l’horreur de la découverte que ce si gentil voisin a commis un acte si violent ? Car si l’un de nous peut sortir de la norme et se laisser aller à la cruauté, c’est que nous en sommes potentiellement tous capables.

Les 80 artistes de l’exposition du MAC VAL montrent par leurs œuvres traitant du fait divers qu’ils sont eux aussi des humains curieux et s’interrogeant sur les profondeurs et les recoins sombres de l’âme humaine. Ils s’emparent des récits, les décortiquent et les restituent en dessins, photographies, maquettes, peintures ou vidéo. Ils mènent leur propre enquête et s’immergent dans une histoire au point de parfois y participer, comme Pierre Huyghe qui filme la reconstitution d’un braquage avec son auteur d’origine, ou Nicolas Daubanes qui souhaitait reprendre la charge de la concession funéraire d’une des sœurs Papin. Mais les mystères autour des faits divers semblent s’épaissir au fur et à mesure qu’on les scrute.

Ainsi, les commissaires de l’exposition, Nicolas Surlapierre et Vincent Lavoie, l’ont conçue comme une grande énigme à résoudre, une série d’équations à plusieurs inconnues sans aucune réponse. Avec un éclairage volontairement très contrasté pour souligner la dramaturgie et une ambiance sonore de thriller, on déambule d’une affaire à l’autre. Chaque chapitre du parcours s’ouvre sur une vraie pièce à conviction, tel que le carnet de comptes, les « recettes », de Landru. Les limites entre les vrais documents d’époque et les reconstitutions fictionnelles se brouillent et l’horreur de la réalité, mise à distance, devient plus regardable. Mais en même temps, nous en venons à douter de l’authenticité et des vérités que sont censées véhiculer toutes ces preuves en images.

Le fait divers a son esthétique, son vocabulaire, répartit ici en 26 mots, et surtout ses interprétations. Les droits des personnes impliquées dans les affaires, la déontologie journalistique ou le ménagement des sensibilités ampute ce que le public peut voir et laisse donc place à la possibilité d’imaginer, de remplir les blancs. Si la justice et les médias interprètent les faits et les preuves d’une certaine manière, les artistes peuvent également en donner leur version, les intégrer dans leur propre narration. Mais là encore, chacun se fera son opinion propre, choisira qui ou quoi croire, quoi lire dans les projections de sang, les scènes de crime ou les notes laissés par les victimes. Au milieu de ces affaires toujours aussi énigmatiques, où la motivation des criminels reste le plus grand des mystères, le doute finit par tout emporter, laissant place à l’incrédulité face à la noirceur dont peuvent être capables les humains.

L’exposition du MAC VAL joue avec nos nerfs et notre curiosité. Les artistes donnent à voir une version du crime différente de celle d’un juge, d’un journaliste ou d’une personne du public, et participent ainsi à la création des contes contemporains servant à nous mettre en garde contre les dangers qui nous entourent. Un conseil : ne restez pas trop longtemps seul dans l’exposition, au risque qu’elle ne se transforme en maison hantée…