Au festival Normandie Impressionniste, l’art contemporain rencontre le patrimoine

Laurent Grasso: Clouds Theory

Le visiteur qui arrive à l’abbaye de Jumièges est saisi par la beauté du site, sa grandeur, sa noblesse. Cette abbaye bénédictine du VIIème siècle était devenue au XIXème siècle un lieu de pèlerinage romantique. Victor Hugo y venait souvent, il aimait beaucoup «la plus belle ruine de France». Du 25 mai au 29 septembre, l’abbaye sert d’écrin à Laurent Grasso, cet artiste de l’invisible. Son exposition est élégante mais discrète, comme s’il était venu à Jumièges sur la pointe des pieds. Des néons rouges et bleus sont accrochés délicatement aux murs, représentant des flammes et des yeux. De curieux nuages reposent dans la nef sur un sol noirci à la cendre. La légèreté aérienne des néons s’oppose à la pesanteur des nuages tombés au sol, nuages qui renvoient à un thème cher aux impressionnistes, mais également à l’abbaye en ruine comme métaphore d’un effondrement. L’exposition est complétée en intérieur par trois courts métrages de Laurent Grasso sur la nature, son exploration, sa perception mais aussi sa fragilité, un thème transversal au festival.

Stalker: un opéra épuré

Par sa taille, par la perfection de son architecture gothique, l’abbatiale Saint-Ouen à Rouen a la grandeur d’une cathédrale. Son immense nef va devenir une scène pour l’opéra déambulatoire Stalker, avec la musique de Thierry Pecou, sur un livret de Jean Christophe Blondel et avec la création plastique d’Olga Kisseleva. Cette scène grandiose sera ouverte au public. L’opéra s’inspire du roman des frères Srougatski et du film d’Andrei Tarkovsky.
Il s’est passé quelque chose de grave: la venue d’extra-terrestres, une météorite, une catastrophe écologique? Deux hommes, un écrivain, un professeur, et une femme se retrouvent dans la zone maudite matérialisée par deux dalles noires. Leur solitude est poignante. La femme, Stalker, doit trouver la porte de sortie. La musique de Thierry Pecou et de l’ensemble Variance peut paraître surprenante voire dérangeante. Elle est grinçante, lancinante, glaçante parfois, inquiétante toujours, mais participe à l’ambiance post apocalyptique. Une musique venue d’ailleurs qui contraste avec la voix de soprano d’Anna Warthemann, très belle, souvent douce, parfois rassurante. L’auditeur pourra admirer la profondeur de la voix de basse de Sébastien Brohier et la beauté de la voix de baryton de Vincent Vantyghem. Alors commence une longue marche, à travers des fleurs blanches qui sont des fleurs de lait, jusqu’à un hypothétique refuge. Les chanteurs sont aussi acteurs, leur corps expriment une souffrance intense, leurs gestes sont au ralenti comme des automates puis ils s’immobilisent tels des spectres. Impressionnant.
Stalker est une œuvre peut être dérangeante, mais émotionnellement forte qui nous fait ressentir dans notre chair l’intensité d’une détresse qui est celle d’une situation post apocalyptique.

Robert Wilson illumine la nuit Rouennaise

Star and Stone: a kind of love … some say est né d’une rencontre à Sydney entre Philippe Platel, le directeur du festival, et Robert Wilson. Le metteur en scène et plasticien américain a été convaincu de venir à Rouen. Là, il a été frappé par la grandeur et la puissance de la cathédrale, sa fragilité aussi surtout en pensant à l’ampleur des destructions lors de la Seconde Guerre mondiale. Pour ce spectacle son et lumière, il a fait appel aux Études pour piano de Philippe Glass et à la poétesse, romancière, militante des droits civiques, Maya Angelou. Les textes sont lus en américain par Bob Wilson et en français par Isabelle Huppert.
Neuf tableaux sont projetés sur la façade de la cathédrale dans une symphonie de couleur, allant du rouge, au bleu, au mauve, au jaune, au gris. Des silhouettes d’animaux apparaissent: un guépard, puis un éléphant, un dinosaure, des oiseaux aussi, plutôt menaçants. La cathédrale va devenir la métaphore de notre planète menacée. La somptueuse façade est agressée par les flammes, la foudre, la pluie, la glace jusqu’à ce que tombent d’inquiétante pierres. La cathédrale, toute grise paraît vraiment se disloquer, s’effondrer. Mais Robert Wilson malgré ses appréhensions pour les générations futures voulait laisser la place à l’espoir. Le dernier tableau débute par des rires d’enfants puis par les mots de collégiens: Star, Stone, éclats d’étoiles, soleil, pluie, espoir. La cathédrale s’éclaire d’anneaux blancs lumineux. La musique participe à cette joie retrouvée. La fin serait presque enthousiaste, la vie doit être la plus forte.
Ce magnifique son et lumière pourra éclairer les nuits de la ville de Rouen jusqu’au 28 Septembre. Un spectacle grandiose qui est aussi un bel hommage à l’œuvre de Claude Monet.