« ASTER » : Échos de périphérie et matières sensibles à La Verrière

La Verrière est un huis clos. Une seule salle baignée d’une lumière dingue. À chaque exposition, elle change d’allure. Joël Riff, le commissaire du lieu, se passionne pour les lignes droites et les correspondances fines. Aster est peut-être l’exposition qui lui ressemble le plus. Au premier abord, on voit des peintures accrochées aux murs et une espèce de barrière faite de mobilier disparate au sol. Puis au second abord, on s’approche, et on se prend un shoot de beauté. On découvre que cette supposée barrière est en réalité une invitation à s’asseoir et à faire un pas de côté dans notre quotidien pour regarder les abords avec plus d’attention.

Depuis quinze ans, Joël Riff accompagne le travail d’Eva Nielsen ; une relation longue, marquée par la confiance et une forme de maturité douce : « Sans le savoir, on avait déjà fait deux solos augmentés avec Eva », dit-il au téléphone, comme on évoque une histoire d’amitié ancienne.

Les murs sont presque entièrement dévolus à l’artiste franco-danoise. Un immense triptyque fait pour le lieu mêle peintures et sérigraphies. Ce que l’on voit forme un espace de sédimentation, où chaque strate visuelle semble retenue entre deux états, deux gestes. Une forme floue, parfois organique — ailleurs anguleuse — flotte dans les blancs. Le premier panneau semble effleurer Georgia O’Keeffe : une sérigraphie presque ronde, presque blanche, un cercle qui pulse sans bruit. L’ensemble s’adosse à une référence précise : Charlotte Posenenske. Figure de la rigueur minimale, Posenenske fait ici retour par une pièce historique prêtée par le FRAC Lorraine — 1967. C’est une sculpture en métal, qui ressemble un peu à une vigie.

Le lien entre Eva, Charlotte et Arnaud est clair : le matériau pauvre, reproductible, trouve un écho direct dans leurs pratiques.

Avec Arnaud Eubelen, la beauté est concrète, c’est une autre forme d’attention. Joël Riff raconte une visite d’atelier à Molenbeek. Il nous confie que l’artiste chine et ramène ses trésors dans une remorque, image-symbole de la marge, du déplacement. Chez Eubelen, il y a des paysages pour s’asseoir, des obstacles-ponts, du mobilier pour se poser. Ça expose juste la possibilité d’être là. « Une barrière, dit Joël, peut être une allée. » Concrètement, les œuvres sont des bancs de différentes matières. Chaque pièce est unique puisqu’elle vient de la rue. Par exemple, Stall, un banc génial en acier, PVC, tube LED et béton, qui donne envie de se poser de longues minutes pour regarder le triptyque aux allures de paysages d’Eva.

Le génie de Joël Riff tient dans un accrochage organique, jamais didactique. Rien ne cherche à faire illusion. Au contraire : une forme de transparence sur la méthode. On voit les gestes. On comprend ce qui a été tenté. La reproduction, la fragilité, les matières pauvres : autant d’éléments assumés, travaillés, presque revendiqués. L’exposition se termine ou se prolonge dans une publication commandée à Etablissement, une agence de paysage. Là encore, les lignes glissent entre disciplines, entre pratiques. Pas de frontière fixe. Une sorte de sillage.

Et dans ce sillage, nos yeux s’arrêtent sur quatre Astates d’Eva Nielsen. Elles mêlent la sérigraphie, la peinture et l’organza, et on y voit… des chaises de Camargue, quelques souvenirs de lumière, des formes qui ne tiennent qu’à peine. Une mémoire, peut-être. Ou juste une sensation. Finalement, ce sont ces toiles-là, que nous vous conseillons de regarder en dernier, qui font le lien parfait entre ces quatre artistes, qui tous ont la matière comme passion dans leur travail.