Pour son 10ème anniversaire, la foire d’art contemporain dédiée aux artistes d’Asie Asia NOW investit la Monnaie de Paris avec un programme riche et de belles découvertes.
Pour la troisième année, la Monnaie de Paris ouvre ses cours, galeries et salons aux quelques 70 galeries internationales d’Asia NOW. La direction artistique de cette édition spéciale a été confiée à la coopérative de commissaires Radicants, créée par Nicolas Bourriaud, qui explore ici l’idée de la cérémonie, du rituel profane ou sacré. Les artistes invités se proposent de démontrer la force de l’union autour du rituel par des performances, des installations, des vidéos ou encore des invitations culinaires, et de souligner la nécessité de la coopération. De plus, un programme dense de conversations vient compléter l’agenda déjà chargé de la foire.
Basée à Oulan-Bator, LKHAM est la première galerie d’art contemporain mongol à participer à Asia NOW. Après Odonchimeg Davaadorj (Backslash Gallery), dont les dessins à l’encre ont pris des teintes rouges plus marquées, nous découvrons ici le travail d’un autre artiste mongol : Baatarzorig Batjargal. Ses peintures très fines et minutieuses reprennent les peintures traditionnelles bouddhistes et la technique mongole du zurag. On croise Mickey, Mao ou Staline au milieu d’un bestiaire anthropomorphe parsemé de références pop et traditionnelles soulignées de rose fluo.
Intersections (Singapour) présente l’artiste Nge Lay, réfugiée à Paris depuis 2021 suite au coup d’état militaire contre lequel elle a lutté dans son pays, le Myanmar. Son œuvre explore différents mediums pour parler de la condition féminine et est dirigée par la pensée bouddhiste et ses traditions familiales. Dans sa série Frozen memories, on retrouve des vieilles photos de famille retravaillées autour de l’idée de l’effacement des souvenirs et de la perte des liens. Une série de photomontages en noir et blanc montre avec humour la force exceptionnelle des femmes qui travaillent sur les marchés du Myanmar, pourtant enfermées dans une vie répétitive et mécanique.
Egalement de Singapour, la galerie LOY présente les porcelaines de Wang Xiaolin, artiste chinois vivant à Jingdezhen, capitale de la porcelaine. Mais ici, pas de tasse ni de vase : l’artiste crée des tableaux figuratifs entièrement en porcelaine, parfois dans de très grands formats. La prouesse technique est impressionnante, et l’artiste joue des matières, des couleurs et des transparences de façon délicate. Wang Xiaolin utilise une technique ancienne pour parler de problématiques contemporaines qu’il déploie dans plusieurs séries, le tout souvent enveloppé de confucianisme.
Dans un porche entre deux cours, une série de vêtements anciens sont suspendus au-dessus de nos têtes, loin de l’idée archétypale que nous avons du vêtement traditionnel japonais. Ici, ce sont des vestes de travailleurs modestes du 19ème siècle, teintés à l’indigo et faits de fibres naturelles telles que le chanvre, présentées par Go for Kogei. Ces vêtements représentent l’idée de Mingei, la beauté de l’artisanat traditionnel qui se déploie dans l’austérité du quotidien, avec des matériaux faciles à trouver autour de nous et créé en suivant d’abord la fonctionnalité.
Pour sa première participation à Asia NOW, la galerie Kaikai Kiki (Tokyo) de Takashi Murakami présente un solo show de Tomoyumi le premier jour pour ensuite montrer plusieurs autres de leurs artistes. La jeune artiste a bénéficié du programme GEISAI qui aide les artistes à créer et exposer et expose ici une série de peintures fraiches et délicates mêlant fleurs et jeunes filles dans un esprit à la foi manga et nostalgique.
Notons également la puissante calligraphie de Lintalow Hashiguchi dans la galerie Nao Masaki. Avec son encre épaisse, l’artiste peint à la façon presque d’un graffiti un mot en alphabet romain qui se cache derrière la tradition de la calligraphie japonaise. Enfin, Les Filles du calvaire présentent une installation de Makiko Furuichi à l’aquarelle où elle prolonge ses œuvres sur les murs et les relie les unes aux autres dans une grande fresque organique et colorée.
Les espaces de la Monnaie de Paris ont l’avantage d’être variés et permettent au visiteur de ne pas se sentir submergé par l’immensité de la foire. La déambulation en devient plus facile et favorise le rapport avec les œuvres. Ainsi, nous pouvons nous plonger dans l’installation de Syagini Ratna Wulan, artiste indonésienne présentée par la galerie Selasar Sunaryo (Bandung). L’artiste dresse des listes d’objets que nous utilisons pour nous créer une identité et les rapporte à une expérience sensorielle au travers de parfums qu’elle a imaginés. Dans cet étalage consumériste, retrouver son essence propre peut s’avérer difficile.
La galerie Shrine Empire (New Delhi) expose le travail photographique de Sarker Protick, artiste du Bangladesh. Il documente son pays dans son travail très graphique, parfois à la limite de l’abstraction, tel que dans sa série Steel qui s’intéresse au pont Hardinge, pensé pour relier des parties de l’Inde qui furent peu après séparés par la création du Bangladesh. Juste à côté, la Prameya art foundation (New Delhi) déploie les fresques de plusieurs mètres à l’encre noire d’Anupam Roy.
Terminons enfin avec le travail d’un artiste itinérant présenté par Yeo Workshop (Singapour), The seas are all shared, de Ng Joon Kiat. Il explore par ses aquarelles la question des frontières et des nationalités, mélangeant dans les boîtes-livres-chevalet de voyage qui contiennent ses peintures les différents pays dans lesquels il a voyagé. Il crée ainsi une image d’un monde globalisé, dont les détails identitaires ne se distinguent pas dans ses œuvres.
Cette édition anniversaire d’Asia NOW est une belle réussite et nous offre un panorama de l’art hors de l’Europe varié, captivant et inspirant. Une ouverture sur le monde indispensable.
Asia now
Du 17 au 20 octobre 2024
La Monnaie de Paris
Visuels :
1- Monnaie de Paris
2- Nge Lay – Futuristic Woman 1, 2012 – Photographie 35,5 x 30,5 cm © Courtesy de l’artiste et Intersections Gallery
3- Tomoyumi – TBC, 2024 – Huile sur toile 1620 x 1303 mm © Courtesy de l’artiste et de Kaikai Kiki Gallery
4- Mingei spirit – Go for Kogei
5- Ng Joon Kiat – Looking at the South China Sea : The Sea has No Country 2, 2024 – Cadres en bois, vis, carton, lin, aquarelle sur papier – Fermé : 52 x 41 x 21 cm / ouvert : 110 x 41 x 46 cm © Courtesy de l’artiste et Yeo Workshop
6- 王晓林, Wang Xiaolin – 夜行图 | Nocturne Journey, 2022 – Overglazed Porcelain, 56 x 112 cm © Courtesy of the artist and LOY Contemporary