Au deuxième étage du Pompidou-Metz, l’exposition « Après la fin. Cartes pour un autre avenir » repense les repères spatio-temporels occidentaux dès le début avec une visite sans sens prédéfini. Cette première confusion installe les visiteur.euses dans la décentralisation que propose l’exposition.
Entre œuvres de silences, de dits et d’indicibles, le commissaire d’exposition Manuel Borja-Villel propose une réflexion où futur passé et présent s’entrelacent afin de penser et redessiner ensemble de nouveaux espaces, de nouvelles réflexions et un avenir décolonial collectif.
Cette exposition, qui propose aux publics de faire un pas de côté du quotidien occidentalisé, a été longuement réfléchie et structurée afin de ne pas s’inscrire dans une instrumentalisation et une récupération occidentale de l’histoire décoloniale.
En s’appuyant, entre autres, sur la pensée d’Edouard Glissant, Rolando Vazquez et Manuel Borja-Villel soulignent leur volonté de laisser opacités et clartés se confondre afin de proposer une inclusivité totale :
« Cela signifie parfois que certaines parties du contenu de l’œuvre restent incompréhensibles, même pour le conservateur, la direction ou le public blanc, tout en devenant des signifiants intelligibles pour d’autres publics et leurs communautés ».
Dès lors, c’est notamment le rapport à la temporalité qui est repensé tout du long de cette exposition. Si dans les sociétés occidentales, passé, présent et futur sont séparés et délimités, cette conception du temps n’est pas partagée dans la pensée ancestrale des communautés afro-descendantes, indigènes, natives ou chicanas, entre autres.
En effet, comme nous le démontrent les artistes qui participent au dialogue de « pour un autre avenir », une mémoire des corps, orale, générationnelle et géographique infuse le rapport à la temporalité et à la circularité du temps.
C’est ce que propose, à l’entrée de l’exposition, les zapatistes (G.I.A.P), lors de la Marche du silence en 2012. Alors que la fin du monde occidental, annoncé par le calendrier Maya a terrifié de nombreuses personnes confrontées à une possible fin, de nombreuses populations ont vu cette fin comme un début. Dans une logique chorégraphiée, l’escargot et la spirale sont repris comme symbole de revendication d’un temps circulaire où passé et futur se mélangent, se bousculent et se conjuguent au présent.
Le rapport aux frontières, à ces espaces que l’on pense souvent délimités de manière nette et précise, est également réfléchi et humanisé dans cette exposition. Les photos de Yto Barrada, issues de la série « Le Détroit » nous montrent ces visages qui transitent, cette polysémie de transitions, des humains, aux oiseaux en passant par les ballons de foot et les crevettes.
Dans sa série de trente-deux photographies prises pendant deux ans à al-Khali/Hébron, Ahlam Shibli témoigne des marques de l’occupation israélienne tout en mettant en avant le flou de ces frontières qui sont également un entre-deux que se réapproprient les habitant.es.
Dès lors, de nombreuses propositions artistiques installées au Pompidou-Metz pour l’occasion, démontrent la possibilité de nouveaux horizons dans une logique de réappropriation.
C’est notamment le cas du triptyque litographique de Rosana Paulino, « Assentemento » qui réutilise des images photographiques de femmes noires utilisées pour justifier une pensée raciste, colonialiste et esclavagiste. À partir de ces photographies, l’artiste entreprend un travail artistique de réparation des corps violentés tout en intégrant ces violences à l’histoire corporelle afin de les dépasser et approfondir le rapport à l’image et à l’Histoire.
Enfin, la carte d’Olivier Marbœuf, réalisée pour l’exposition, rassemble dans son travail ces pensées et ces horizons. Cet artiste français, d’origine guadeloupéenne, a accumulé énormément de connaissances à la fois théoriques et culturelles sur les Caraïbes et plus spécifiquement sur les cultures afro-caribéennes.
Cette fresque, qui repense la rigidité de la cartographie, s’inscrit dans la série Blueprint, qui sont toujours des œuvres in situ et qui évoluent à chaque fois qu’il les refait, d’exposition en exposition. Sur un mur peint en acrylique bleu indigo, des dessins à la craie blanche vont esquisser des dialogues, des récits et des symboles dans cinq langues différentes (espagnol, latins français, anglais, créole), afin d’être certain qu’au moins une des langues soit opaque aux visiteur.ices.
Ce Blueprint sera, comme tous les autres, effacé à la fin de l’exposition. Les Blueprints de Marbœuf s’inscrivent dans cette circularité, cet affranchissement des frontières et du temps, afin de ne rien figer, de laisser la possibilité d’évolution tout en offrant un espace de réflexion sans cesse en mouvements.
Cette exposition, nécessaire et plus qu’actuelle, offre de nombreuses pistes de réflexions, plus riches et profondes les unes que les autres. Elle est au Pompidou-Metz jusqu’au 1er septembre !
visuels :
© Ahlam Shibli © Centre Pompidou-Metz / Photo Marc Domage / Exposition Après la fin / 2025
© Rosana Paulino, Assentemento #2 / Pompidou-Metz / Photo Camille Zingraff / Exposition Après la fin / 2025
© Olivier Marbœuf © Centre Pompidou-Metz / Photo Marc Domage / Exposition Après la fin / 2025
© Kapwani Kiwanga, Nations © Centre Pompidou-Metz / Photo Camille Zingraff / Exposition Après la fin / 2025