À Bruxelles, dans l’écrin lumineux de La Verrière – Fondation Hermès, s’ouvre « Antre », une exposition aussi intime que foisonnante qui permet de découvrir la force du trait de Pélagie Gbaguidi, de rendre hommage à Hessie et de brûler face au génie du collectif Aygo.
Quand on entre, sans mauvais jeu de mot, dans l’Antre, nous sommes saisis par les couleurs qui éclatent. Au centre (c’est notre première perception) se trouve du mobilier à l’allure psychédélique. Sur les murs, des peintures au trait laissent voir leur mouvement. Mais si nous commençons à regarder au-delà de notre premier regard, nous voyons que cette homophonie avec « entre » résonne comme une invitation à pénétrer au cœur des échos et des cavités que nous portons en nous.
Dans cette exposition, l’écriture devient un objet plastique, une mémoire vivante, parfois fragile, que l’on cherche à restituer. Joël Riff, commissaire des expositions depuis 2022, nous confie le choc qu’il a ressenti face aux peintures et dessins de Pélagie Gbaguidi : « Une évidence graphique », dit-il, décrivant l’impact immédiat et puissant de ses œuvres.
Pour cette exposition, Gbaguidi a choisi d’ouvrir son « antre » en invitant le collectif Aygo et en présentant des artistes comme Marianne Berenhaut, Hessie et Sophie Marie Larrouy. Cette démarche, où la notion de convivialité et de foyer prend tout son sens, fait écho à l’urgence d’être ensemble, de revenir à l’intérieur dans une époque de grandes fragilités.
Depuis 25 ans, Pélagie Gbaguidi construit une pratique artistique hybride, où l’oralité plastique questionne la disparition de la mémoire orale et la manière dont la révolution numérique transforme nos corps. Elle raconte avoir « décliné des pieds sur 400 signes » pour interroger ce qu’est l’humanité ou encore comment l’apocalypse peut se penser à hauteur du sol.
Dans Antre, ce sont les mains et les pieds qui guident le parcours, entre tapis, sacs de farine peints des deux côtés et œuvres collaboratives. Gbaguidi active une réflexion sur le tactile : « Ce qui m’intéresse, c’est ce qui s’échappe de la trace », dit-elle, tout en explorant le rapport entre le corps et les lieux chargés d’histoire, comme « la fabrique des sacrifices ».
Parmi les artistes présentés, Hessie se distingue par une œuvre confidentielle, un art de la discrétion qui restitue le geste de la vie. Ses créations, réalisées à partir de supports variés et souvent modestes, ouvrent un réservoir d’introspection : elles offrent une façon de penser la vie dans ses moindres détails.
Le collectif Aygo apporte une énergie différente, marquée par la recherche de dialogues et l’expérimentation collective. En s’inscrivant dans les thèmes de l’exposition, leur travail – notamment sur les notions de recto et verso des œuvres – prolonge la volonté de Pélagie Gbaguidi de dépasser les limites de l’apparence pour explorer ce qui est caché ou en devenir.
« Le foyer est à la fois le lieu de nos doutes et celui où l’on peut se ressourcer » : Antre nous invite à plonger dans un univers où les gestes, les traces et les échos collectifs révèlent une humanité partagée. Dans ce moment de grandes fragilités, il s’agit de faire autrement, de réactiver ce rapport tactile et sensoriel qui nous relie aux autres et à nous-mêmes.
Une exposition brillante qui vous donnera forcément envie de suivre de plus près le travail de tous les artistes présentés et de repartir en lisant le texte doux et puissant de Sophie Marie Larrouy. Gardons en cela pour finir :
« (…) On ne choisit pas qui on aime.
On se reconnaît simplement.
C’est la force de la forme qui nous aimante.
C’est la force de la forme qui nous touche et nous donne confiance.
C’est la force de la forme qui nous aimante.
la
force
de
la
forme
qui
nous
aimante.
Et nous
donne
confiance.(…)»
La Verrière, Boulevard de Waterloo 50, 1000 Bruxelles
Visuel :©Isabelle Arthuis Fondation d’entreprise Hermes