On pensait tout savoir ou presque d’Anselm Kiefer, le scandaleux, le monumenta(l), le mystique et le dévoreur de poèmes et de textes mythiques. Mais, dans le cadre de la programmation de ses 40 ans, le LaM de Villeneuve-d’Ascq met en lumière un medium peu connu et néanmoins « auxiliaire sainte » du plasticien allemand. C ‘est brillant, c’est merveilleusement scénographié et c’est plein de souffle.
Né en Allemagne en 1945, Kiefer a la grâce de la naissance mais pas la légèreté de ne pas interroger le silence sur les actes de ses proches plus âgés. C’est en photo qu’il crée le scandale et se fait connaître en enfilant l’uniforme de la Wehrmacht de son père en 1969. Installé en France depuis 1992, il participe aux plus grands événements touchant à la mémoire nationale : Monumenta en 2007 ou la clôture du Centenaire de la Première Guerre mondiale au Panthéon, où il restera exposé à vie. Et, inlassablement, il interroge, en calque gigantesque sur les immenses paysages de son enfance, les mythes et les poètes qui ont permis l’inhumanité du 20e siècle… Dans les grands livres uniques qu’il édite en réponse aux livres brûlés en autodafé en Allemagne 1933, la photo est partout. Sur les murs de son gigantesque atelier à Barjac – nous dit Jean de Loisy – également.
Dès la première salle, le format intime de la photo est pulvérisé, avec une immense installation qui réunit les vestiges et négatifs de l’album d’une vie. Le parcours est thématique et un peu chronologique pour commencer et donne l’impression d’entrer dans le laboratoire secret où Kiefer développe non seulement ses clichés, mais également toutes ses matières plastiques. Et, en tirage argentique, les roses de Kiefer piquent plus que jamais là où ça fait mal : dans nos inconscients collectifs. Le cœur de ce réacteur est aussi la salle la plus noire et la plus privée : les Family Pictures d’Anselm Kiefer sont autant de boîtes noires qui font penser à l’enfance, aux origines du cinéma et qui gardent un noir et blanc pétri de désespoir. Après ce moment intime où l’on comprend que l’artiste promène réellement son appareil photo comme un bloc-notes ou un miroir le long du chemin, les trois dernière salles semblent étirer ces ombres familières et familiales du côté de la mystique : la catastrophe est là (en hébreu), l’échelle de Jacob fort heureusement aussi. Et c’est vers la mer que, malgré tout, l’on penche son objectif pour essayer de percer les mystères pas toujours photogéniques de Ein Sof, l’infini.
L’exposition Anselm Kiefer. La Photographie au commencement est une somme qui n’a rien d’un « petit format » et est à voir à absolument avant le 3 mars 2024 au LaM.
Visuel (c) photo in situ – Claudine Colin