Expositions

Abstraction et développement durable à l’EAC

par Laetitia Larralde
le 17.07.2023

Cet été, l’Espace de l’Art Concret renouvelle l’accrochage de sa collection avec les deux artistes Cécile Bart et Ode Bertrand et propose en parallèle deux expositions dans lesquelles la nature et les problématiques écologiques ont une place de choix.

Une relecture de collection toute en finesse

L’été dernier, l’EAC avait invité neuf artistes à questionner leur travail en lien avec la collection Albers-Honegger, cherchant les filiations entre l’art concret et les artistes contemporains. Cette année, la même invitation a été lancée à un duo d’artistes, Cécile Bart et Ode Bertrand, pour qu’elles donnent leur vision de la collection. Le résultat est surprenant d’homogénéité et de cohérence, au point que, par moments, on pourrait croire que l’on visite une exposition monographique.

En effet, bien que distinctes, les œuvres de Cécile Bart et Ode Bertrand ont de nombreux liens, tels que l’usage du format carré, la géométrie ou la recherche sur les modulations de la couleur. Toutes les deux ont déterminé l’emplacement de leurs œuvres et de celles qu’elles ont choisies dans la collection de l’EAC, créant ainsi une déambulation fluide et délicate, allant de l’œuvre à la présence affirmée jusqu’à celle tellement légère que l’œil doute de la réalité de sa perception.

Les deux artistes sont proches de l’art concret tant dans leur démarche que dans leur quotidien. Cécile Bart connaissait depuis les années 1980 le couple Albers-Honegger ; ses œuvres, écrans translucides en toile de Tergal qu’elle teinte par de multiples applications et essuyages de peinture, faisaient déjà partie de leur collection. Ode Bertrand, quant à elle, après une carrière de danseuse, a assisté sa tante Aurelie Nemours, figure majeure de l’abstraction géométrique, avant de poursuivre dans cette voie. Comme on peut le noter dans le parcours de l’exposition où ils sont présents, les connexions avec les œuvres de Vera Molnár ou François Morellet sont également nombreuses.

Même si, de premier abord, ces œuvres semblent extrêmement minimales, elles sont le résultat d’une recherche incessante et presque obsessionnelle sur la base de règles du jeu précises, mathématiques. Et c’est là que se niche l’humanité au milieu de la plus pure abstraction, dans cette volonté joueuse d’explorer les limites des règles que se sont posées les artistes et de mettre au défi notre perception.

Art et impact environnemental

Dans les espaces du château, l’exposition Impact met en avant des artistes entre 35 et 50 ans autour du thème de l’environnement. La transition écologique amorcée par l’EAC en 2021 a en effet entraîné une réflexion de fond sur le fonctionnement durable d’un centre d’art et, par extension, sur les problématiques environnementales soulevées par les artistes. Ainsi, pour accompagner les gestes concrets que l’on peut tous mettre en place aujourd’hui, il est nécessaire de continuer à réfléchir de façon plus globale à ce qui peut être fait sur le long terme. Et pour cela, les neuf artistes de l’exposition peuvent nous aider à décaler notre regard sur un sujet aussi impérieux qu’inquiétant.

On se rend compte que tous les préceptes concernant le circuit court, le choix des matériaux ou encore l’empreinte numérique ne sont pas synonymes de contrainte, au contraire. Avec leur tapisserie Rain is gold, Sarah Illouz et Marius Escande ont travaillé selon des savoir-faire artisanaux et ont coloré et feutré la laine eux-mêmes, pour un résultat faisant à la fois référence aux anciens mythes grecs et à la problématique actuelle de la laine. Les artistes exposés abordent des sujets tels que les suites des incendies de forêt (Dove Allouche), les mutations des insectes du site de Tchernobyl (Cornelia Hesse-Honegger) ou encore l’impact des sons humains sur l’écosystème marin (Vincent Malassis). Ils verbalisent de façon sensible les problèmes écologiques auxquels nous sommes confrontés, et pour certains dont nous n’avons pas conscience.

Enfin, l’exposition monographique consacrée à Jean-Pierre Bertrand (1937-2016) pourrait être une synthèse des deux précédentes. L’artiste combine une pratique abstraite et l’utilisation de matériaux naturels tels que le citron, le sel et le miel. Les chiffres 9 et 54 rythment toute son œuvre, composée de nombreuses séries et répétitions, et ce depuis la lecture déterminante de Robinson Crusoé dans sa jeunesse. On découvre des œuvres aux techniques différentes, de la photo à la peinture en passant par l’installation, certaines recomposées entre elles pour une nouvelle lecture.

Cet été, l’EAC nous ouvre de nombreuses pistes de réflexion sur le thème du développement durable, tout en nous démontrant que ce n’est pas un frein à la création ou à la création d’expositions. Exemple à suivre.

Cécile Bart et Ode Bertrand – Dialogue avec la collection Albers-Honegger
Du 25 juin 2023 au 31 mars 2024
Jean-Pierre Bertrand – Time removing
Du 25 juin au 17 septembre 2023
Impact
Du 25 juin au 29 octobre 2023
Espace de l’Art Concret – Mouans-Sartoux

Visuels : 1- Cécile Bart, Tangram #2, 2023 – Collection de l’artiste © photo droits réservé
2- Ode BERTRAND, Effacement (I à VI), 2022 – Collection Ode Bertrand © Adagp, Paris 2023
3- Vera MOLNAR, Carré coupé en 2, 2018 – œuvre en cours de donation – Centre national des arts plastiques – Espace de l’Art Concret, Donation Albers-Honegger © Adagp, Paris 2023
4- Cornelia Hesse-Honegger, Pentatomidae de Cedar Break (Utah) proche de la zone des essais de la bombe nucléaire dans le Nevada, 1998 – Courtesy de l’artiste © photo droits réservés © Adagp, Paris 2023
5- Jean-Pierre BERTRAND, The planted garden, 2004 – Courtesy Fonds de dotation Jean-Pierre Bertrand, Paris – Etrog n°1, circa 2000/2001 – Collection Samuel Bertrand, Marseille © crédit eac. © Adagp, Paris 2023