Expositions

5 escapades d’art aux abords de Paris

par Alan B.
05.07.2024

Si au contraire d’Hemingway, Paris ne vous paraît pas ou plus être une fête, Cult vous a concocté cinq escapades d’art, silencieuses mais heureuses, toutes proches mais assez lointaines pour se dire qu’on n’y est plus – à Paris – ou, pour les plus indécis, que l’on y est encore.

Le jardin anglo-japonais d’Albert Kahn

Financier, Albert Kahn se sentait à l’étroit dans une vie qui ne lui convenait pas. En 1879, souhaitant échapper à un destin tout tracé, il devient élève d’Henri Bergson. Nouvellement étudiant à l’École normale supérieure, d’un an son aîné seulement, celui qui écrivit plus tard qu’être libre revenait à accomplir une œuvre qui nous ressemble, joua un rôle déterminant, en tant que maître, en tant qu’ami, dans l’orientation de Kahn vers ce qui lui semblait être sa vraie nature : la philosophie, le voyage et la philanthropie.

Vous aurez ainsi plaisir à lire leurs Correspondances, présentées par Sophie Cœuré et Frédéric Worms, respectivement historienne et philosophe, sur ce pont laqué rouge du jardin japonais, qui lui aussi a quelque chose de la posture intellectuelle et du récit de voyage. Il rappelle celui de Shinkyo, ce « pont sacré » (étym.) dont Kahn avait gardé un souvenir clair et marquant du Japon. Aux côtés d’un saule pleureur, vous pourrez admirer le ciel dans l’eau, quelques poissons, des nénuphars et un peu de votre propre reflet, comme dans un livre qui dit plus de vous que ce à quoi vous vous attendiez. Fabuleux parc à scènes théorisé par Édouard André et aménagé par Achille Duchêne, vous poursuivrez une agréable visite par le jardin anglais, le verger-roseraie, la forêt bleue ou le marais.

Une maison d’outre-tombe

Située à Châtenay-Malabry, cette résidence abritée dans le domaine de la Vallée-aux-Loups fut celle de François-René de Chateaubriand durant dix ans. Reclus ici après la rédaction d’un article en 1807 critiquant le pouvoir napoléonien, lequel n’avait d’autre but, pour reprendre ses termes, que « d’abattre l’idole », il y commence la rédaction des mémoires de sa vie qui deviendront les Mémoires d’outre-tombe (1848). Déchu de ses fonctions de ministre en 1817 et restrictions financières faisant, il se voit dans l’obligation de vendre sa « maison de jardinier » comme il aimait à l’appeler, et avec elle sa tour Velléda : lieu d’écriture, bibliothèque – lieu à soi dont « l’opacité déjoue les curiosités du pouvoir » et « reproduit l’ordre du monde dont elle est la particule élémentaire », écrit Michelle Perrot, historienne.

Il confessera : « De toutes les choses qui me sont échappées, la Vallée-aux-Loups est la seule que je regrette. » Pour cause, si son ermitage dispose du label « maison des Illustres », à l’instar d’une centaine d’autres résidences en France, le domaine de la Vallée-aux-Loups, à lui seul, suffit à un public en recherche d’une pointe d’exotisme : cèdre du Liban, platane de Grèce ou encore cyprès chauve de Louisiane s’y trouvent. L’un des cèdres revêt même un aspect bluet et une mine défroquée, un peu tombante, due à une mutation. Inscrit sur la liste des « arbres remarquables », on ne peut que noter la similitude avec Chateaubriand lui-même, tout à la fois romantique et torturé.

Impressions à Giverny

Pénétrer les jardins de Giverny et la maison de Monet pourrait être perçu comme l’ajout d’un coup inopportun de pinceau à une peinture inanimée mais plus que vivante, où tout a sa place, et à la surface de laquelle l’on y verrait ce rien qui serait de trop. C’est donc en visiteur un brin délictueux que l’on aurait envie de céder à la tentation de s’y rendre et de faire partie, à notre tour, de cette fresque imprécise car impressionniste, faite de réminiscences et de cavalcades enfantines. Au fond, notre visite n’aurait peut-être pas grand chose de différent du caractère éphémère de la lumière et de ses effets sur la couleur et les formes – celles-là mêmes que tentait de saisir Monet.

Louveciennes et son palais-boudoir

Parangon de beauté néoclassique, imaginé par l’architecte Claude Ledoux, le château de Louveciennes, charmante commune des Yvelines réputée pour ses demeures bourgeoises et cossues, est l’ancienne demeure de Madame du Barry, favorite de Louis XV. Ouvert uniquement au public lors de visites organisées le plus souvent au printemps par la municipalité de Saint Germain Boucles de Seine, il fut un écrin d’amour pour la comtesse et son amant. Les frères Goncourt dirent du lieu qu’il était « un palais-boudoir où tout avait le fini et le précieux d’un bijou ». On y retrouve un pavillon de musique, une orangerie, une serre, un temple dorique et une glacière : de quoi inspirer les amateurs de la romance dramatique, Jeanne du Barry, mise en scène et adaptée l’année dernière par la réalisatrice franco-algérienne, Maïwenn.

Un casin italien, de style palladien

Ancienne résidence d’été de Gustave Caillebotte, peintre et mécène, le domaine de Yerres est aussi désormais un centre d’art et d’expositions pour les artistes contemporains. Certains se contenteront du lieu en lui-même et sauront trouver tout l’art qu’ils recherchent dans ces colonnes palladiennes qui surplombent cette résidence typique, ce casin de style italien. D’autres se sentiront un peu des Canotiers ramant sur l’Yerres lorsqu’ils traverseront la passerelle. Espace transitif, la maison Caillebotte, plus qu’une découverte, une immersion dans l’art lui-même.

Visuel : © Alan B.