Avec Chloe Mazlo comme marraine, la 12ème édition du Festival du film franco-arabe de Noisy-le-Sec met l’accent sur le cinéma libanais. Au cinéma Le Trianon offrent une véritable immersion artistique et un voyage cinématographique dans le monde arabe qui est proposé. Cult.news a commencé ce voyage cinéphile et vous en parle…
Après la Palestine et l’Algérie, la 12e édition du festival du film franco-arabe, parrainée par les réalisateurs Chloé Mazlo et Costa-Gavras, accorde une place particulière au Liban. Vous pourrez découvrir plusieurs films de la cinéaste et photographe de guerre franco-libanaise Jocelyne Saab, décédée en 2019. Si Lettre de Beyrouth (1978) est un documentaire, sur la guerre civile et ses effets sur la population, les autres films mélangent subtilement la réalité du conflit et le romanesque.
Dunia (2005), tourné en Égypte avec des acteurs égyptiens connus, aborde avec une vraie délicatesse des questions très politiques. En Egypte, sa sortie a fait scandale. L’héroïne, superbe jeune femme (Hanan Tork), à la sensualité évidente, désire se présenter à un concours de danse. Très attirée par le soufisme, elle est conseillée par un professeur doux et sensible. Avec lui, elle s’interroge sur ce qu’est l’amour : comment le ressent-on ? comment le trouve-t-on ? Avec l’esprit, le cœur, le corps ? Dunia pose ces questions avec sincérité, on la sent inquiète, désorientée. Au jury de danse qui lui reproche sa raideur, elle rétorque qu’elle n’a jamais vu son corps. Dunia a pourtant un amoureux, mais leur relation semble, pour elle, assez raisonnée. Se marier lui permettrait de conquérir une petite forme de liberté. Implacable, le film suit l’évolution de la jeune fille, qui danse merveilleusement, en ondulant du bassin, en tournant comme un derviche. Dans ses yeux, toujours une angoisse latente. De son côté, le professeur, éclairé, ouvert, se bat contre la censure qui frappe Les Contes des Mille et une nuits, tenus pour pornographiques par le gouvernement.
Le poète et mystique Rumi écrivait : « Quoi que je puisse dire pour parler de l’amour et pour l’expliquer, quand j’arrive à l’amour lui-même j’ai honte de mon explication. » Cet amour transcendant, Dunia le saisit, elle s’en inspire pour danser. Mais, une explication à son absence de désir charnel, malheureusement, il y en a une : en filigrane, nous comprenons peu à peu quel drame secret étouffe jeunes les femmes. Sans révéler le nœud de l’intrigue, disons que Jocelyne Saab tisse finement les enjeux, rendant la nature de l’amour que recherche Dunia d’autant plus éclatante. Comme le rouge qu’elle arbore en permanence, pour s’affranchir enfin, par tous les atomes qui la composent, corps et âme.
Dans Une vie suspendue (1985), Jocelyne Saab filme le Liban en guerre, avec très peu de moyens et un danger constant. Jacques Weber, acteur principal, a rappelé cette année à quel point cette expérience de tournage l’avait marqué. Il incarne ici un artiste peintre français, pris dans le Beyrouth de la guerre. Une toute jeune fille, belle et gracile, Samar (Hala Bassam) tombe amoureuse de lui, pour de bon. Elle le lui dit, bravache, car de toute façon, le temps est désormais compté. La lune n’est belle que si on la regarde à deux. Jocelyne Saab capte des regards, des échanges fragiles entre ces deux amants qui ne se rejoignent jamais tout à fait : dans une belle scène, Samar ne parvient pas à écrire son nom en français à l’endroit. Cet amour demeure impossible, comme la paix.
Le festival propose des films libanais extrêmement intéressants : La mer et ses vagues, de Liana et Renaud Pachot, présenté à Cannes 2023 dans la sélection ACID, offre une échappée poétique sur un Liban éprouvé. Un frère et une soeur cheminent vers la Scandinavie, où l’homme doit se marier. Teinté de mélancolie, fragile, le lien avec sa fiancée est matérialisé ici par le smartphone, où le visage de la belle apparaît tantôt net et tantôt pixellisé, diffracté, bloqué. Quelle issue pour les deux héros ? Dans un Beyrouth à l’arrêt, où l’électricité vacille, tombe en panne, renaît par instants, l’espoir est ténu. Entre un vieux gardien de phare persévérant, qui croit dans sa mission de rééclairer la ville, et une bateleuse qui harangue la foule indifférente pour vendre les tickets de loto, c’est bien le vague-à-l’âme qui l’emporte.
Le monde arabe est vaste. Parmi les découvertes, un très beau film yéménite, Les lueurs d’Aden, de Amr Gamal (Yémen/Soudan/Arabie Saoudite), nous place dans une position de témoin inconfortable. Un couple sans histoire, avec trois enfants, se trouve confronté à la grossesse imprévue de l’épouse. Que décider ? Entre les préceptes du Coran et la triste réalité d’un pays déchiré par la guerre, comment faire au mieux ? Au début, un dialogue au sein du couple semble possible. Mais, peu à peu, la violence s’insinue dans un rapport de forces où l’on doit trancher. Allah considère peut-être que la vie commence à partir de 120 jours, comme la femme le soutient d’après des vidéos vues sur internet… Mais, pour le mari, le sujet n’est pas là : comment nourrir les trois enfants, et leur offrir une éducation dans une école privée ? La marge de liberté est très réduite. Face à la femme, épuisée, les interlocuteurs sont compatissants : ils veulent aider, dans la mesure du possible, qui est bien mince. En français, le titre « Les lueurs d’Aden » laisse entrevoir un espoir, là où le titre anglais « The burndered » est plus implacable. Que signifie exactement le titre arabe ?
Dans les belles découvertes du festival, nous vous recommandons vivement un film algérien, La rockeuse du désert de Sara Nacer qui retrace le parcours de Hasna el Becharia, joueuse de guembri, un instrument exclusivement réservé aux hommes. Le gnawa, musique lancinante et hypnotique, nous prend pour ne plus nous laisser. Hasna el Becharia, adulée en France dans les années 1990, au cabaret Sauvage, a eu toutes les difficultés à s’établir en France. Retournée à Bechar, elle continue à transmettre sa passion pour le gnawa, reconnaissante d’avoir accès le matin à une salle de bain le matin. Un magnifique documentaire, qui nous remet les pieds sur terre.
Visuel (c) Dunia de Jocelyn Saab