Il serait bien regrettable de cantonner la filmographie de Justin Kurzel à Assassin’s Creed (2016), oubliable et foireux long métrage tourné par le cinéaste en contrée hollywoodienne. Outre ce râté, le réalisateur australien tisse surtout un corpus de films captivant depuis ses débuts, qui explore crument les tréfonds de l’âme humaine. Après avoir travaillé ensemble sur les réussis Les Crimes de Snowtown (2011), Le Gang Kelly (2019) et Nitram (2020), Justin Kurzel retrouve le scénariste Shaun Grant dans The Narrow Road, adaptation sérielle du roman La Route étroite vers le Nord lointain (2013) de Richard Flanagan.
The Narrow Road se déploie sur cinq épisodes qui oscillent entre trois temporalités, dressant le portrait complexe de Dorrigo Evans, interprété jeune par Jacob Elordi, et plus vieux par Ciarán Hinds. L’intrigue démarre en l’an 1989, en Australie. Dorrigo, chirurgien réputé et héros de guerre, se remémore son passé alors qu’il prépare un discours pour la sortie d’un livre sur la Seconde Guerre mondiale. Médecin de guerre fait prisonnier par les Japonais en 1943, il a travaillé avec ses camarades à la construction de la voie de chemin de fer reliant la Thaïlande à la Birmanie, dans l’enfer de la jungle et des mauvais traitements infligés par leurs geôliers. Durant cette période très sombre, Dorrigo s’est accroché au souvenir de son histoire d’amour passionnée et interdite avec Amy Mulvaney (Odessa Young), la jeune épouse de son oncle Keith (Simon Baker).
Aux antipodes des films et séries de guerre hautement spectaculaires, où pilonnages et actes de bravoure de tout instant sont légion, The Narrow Road choisit la voie du non sensationnel et de l’intime pour relater les répercussions et traumatismes profonds laissés par la guerre sur celles.eux qui l’ont traversé. Exit les séquences de combat ultra-chorégraphiées et la mise en avant empreinte de manichéisme d’un pays au profit de l’autre, la série de Kurzel et Grant s’intéresse plutôt au quotidien et aux stigmates éternels des prisonniers éreintés par la fatigue, la faim et la maladie dans un camp japonais. The Narrow Road livre plus largement une réflexion profonde sur la lente érosion interne qui gangrène les prisonniers de guerre.
Si la mise en scène évite tout surplus sensationnaliste et misérabiliste, la série possède ceci dit son lot de séquences violentes et intenables de tortures, d’opérations médicales faites avec les moyens du bord et d’exécutions des prisonniers, boostées par une caméra quasi documentaire au plus près des protagonistes. Face à l’horreur de la guerre et les différentes périodes du récit, The Narrow Road sonde la douleur et les cicatrices mentales indélébiles de Dorrigo, pour qui aimer (à sa façon) a été son unique salut dans les moments les plus sombres de sa vie. Profondément rude et émouvante, The Narrow Road bouleverse autant qu’elle questionne en ces temps des plus incertains.
The Narrow Road de Justin Kurzel & Shaun Grant. Avec Jacob Elordi, Ciarán Hinds, Odessa Young… Australie, États-Unis. 5 épisodes x 45 minutes. Disponible le 9 Octobre 2025 sur Canal+.
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