« Sublime », de Mariano Biasin : à l’épreuve du désir

Manuel fête ses huit ans. Filmé en super-huit par ses parents, il a l’air étrangement malheureux, quand sa famille autour de lui laisse libre cours à la joie qui l’anime. Le visage de Manuel s’illumine subitement lorsque son meilleur ami arrive, et on comprend que sa tristesse était la conséquence de l’absence de ce garçon qu’il enlace tendrement. La fête peut démarrer pour lui.

Felipe fête ses seize ans. Pour l’occasion, il a organisé un concert du groupe de rock qu’il constitue avec Manuel et deux autres de leurs amis. Mais le jour J, Manuel, avec qui Felipe s’est disputé, tarde à venir, menaçant l’équilibre du rock band amateur, mais aussi, surtout, de ce groupe d’amis « pour la vie » et de tous ces liens tissés depuis leur enfance commune.

Le premier long métrage de Mariano Biasin déroule son récit entre ces deux moments de partage où tristesse et joie s’entremêlent au gré des sentiments de chacun des personnages. Et c’est cet équilibre fragile, fait de connivence et de non-dits, que le réalisateur tente de saisir, un équilibre menacé par ces désirs troubles pour les filles ou pour les garçons – ces « conneries » comme les appellera Manuel face à un père qui lui demandera, philosophe : « En quoi c’est mal de ressentir des choses ? » – que les garçons peuvent vivre aussi intensément que secrètement lorsque leurs hormones s’affolent. 

Sublime ne dit pas autre chose, et c’est tant mieux. C’est un film de l’après, un film d’après la culpabilité, la honte, la violence, les possibles conflits liés à la découverte de son homosexualité et au coming out. Ces adolescents tentent de comprendre ce qui leur arrive, et le chemin pour dire les choses semble infini. Manuel (interprété par Martín Miller, tout en retenue) sort avec une fille parce qu’il y a quelque chose de socialement normal à cela, mais il est troublé par le désir qu’il ressent pour Felipe (Teo Inama Chiabrando, tout en séduction), qui, lui, sort avec des filles parce qu’il les désire. Manuel rompt avec sa copine lorsque Felipe rompt avec la sienne, mais ses espoirs sont vite douchés par cette nouvelle relation, plus forte, plus secrète, que Felipe semble vivre avec une autre fille. Manuel en souffre, mais ne peut pas parler. Car dire, révéler ce sentiment amoureux qui devient de plus en plus envahissant risquerait, surtout s’il n’est pas partagé par l’autre, de bouleverser son univers, de briser leur amitié, de rompre l’équilibre de tout le groupe. 

Alors, pour exprimer malgré tout leurs sentiments, ces jeunes hommes écrivent des chansons aux messages cryptés, qui parlent de chemins perdus sur la plage (ils habitent une ville côtière d’Argentine) et de rendez-vous manqués, d’un amour fou pour cet autre qui n’est jamais nommé. Le film est scandé par les répétitions du groupe qui sont autant de moments de défoulement et de libre parole, et qui mènent le récit jusqu’au concert final qui propose une jolie métaphore du rapport sexuel par guitare et basse interposées.

Mariano Biasin, dans la droite ligne des films de Marco Berger dont il est un compatriote (Plan B, Hawaï, Taekwondo…), filme ainsi au plus près des visages et des peaux, pour tenter de saisir ces troubles invisibles qui rendent l’adolescence aussi difficile qu’intense et sublime à vivre. Pas d’homophobie ici, aucun conflit social lié au thème de cet éveil au désir homosexuel et de sa verbalisation : le réalisateur supprime toute profondeur de champ pour mieux se focaliser sur cette tempête intérieure et profondément intime qu’on qualifie souvent de « confusion des sentiments ». Les parents sont à l’écoute de leurs enfants, les amis ne sont jamais dans le jugement. Sublime n’est pas un film social de plus sur ce douloureux problème de la découverte de son homosexualité et de ses conséquences sociales, mais bien une observation pudique et juste de la naissance du désir masculin, quel qu’en soit l’objet.

Visuel : ©outplay