En salles le 25 juin, Stranger Eyes de Yeo Siew Hua explore, à travers la disparition d’un enfant, les dérives du regard et du silence dans un couple sous surveillance.
Dans Stranger Eyes, dernier film du réalisateur singapourien Yeo Siew Hua (A Land Imagined), un couple tente de survivre à l’insoutenable : la disparition soudaine de leur petite fille. Peiying et Junyang vivent dans un appartement impersonnel, figés dans leur douleur silencieuse, tandis qu’un inconnu les observe à distance, filmant leur quotidien sans qu’ils en aient conscience. À mesure que les jours passent, le regard de ce voyeur invisible pénètre l’intimité du couple, révélant les failles, les tensions, les solitudes — jusqu’à ce que Junyang se prenne à épier à son tour.
À la croisée du drame familial, du thriller psychologique et de la fable contemporaine sur la surveillance, Stranger Eyes interroge notre rapport au regard, à ce qu’il dit de nous, de notre époque et de nos manques affectifs. Un film lent, froid, désarmant, qui n’offre aucune clé, mais qui retourne lentement le miroir vers le spectateur.
Dans Stranger Eyes, Yeo Siew Hua ne se contente pas de raconter une histoire. Il propose une expérience troublante où le spectateur se retrouve dans une position inconfortable, presque coupable. Dans un Singapour quadrillé par des caméras omniprésentes, la surveillance est banalisée, intégrée au quotidien. Pourtant, face à ce couple filmé dans ses silences et ses gestes anodins, on ressent un malaise profond : celui d’assister à une intimité qui ne nous est pas destinée.
Les plans, souvent fixes et cadrés comme des vidéos de surveillance, nous plongent dans un voyeurisme inconscient. Petit à petit, le spectateur devient complice, partagé entre le rôle d’observateur et celui d’observé, parfois même inversés. Ce jeu subtil du regard crée une tension permanente, brouillant nos repères et questionnant notre propre position.
Au centre du récit, il y a la disparition de leur fille. Mais ce n’est pas tant cet événement tragique qui divise Junyang et Peiying, que tout ce qui l’entoure : la surveillance, les silences, les non-dits. Peiying, jeune mère, semble trouver un étrange réconfort à être observée par un inconnu, là où son mari ne la regarde plus vraiment. Junyang, lui, regarde ailleurs — littéralement — et vit son quotidien sous le regard anonyme qui le suit jusque dans ses gestes les plus intimes.
Dans cet appartement où tout semble figé, c’est la mère de Junyang qui tente de comprendre ce qui se passe, qui cherche à relancer le dialogue dans un couple devenu muet. Mais Junyang et Peiying ont accepté ce silence, leur seul lien restant la quête désespérée de leur fille. Loin de la passion, leur relation est désormais une cohabitation dans l’attente et l’isolement.
Le film joue avec la boucle du regard : Junyang, traqué, finit par observer à son tour son voyeur, retournant le rapport. Ce cercle vicieux du regard révèle une addiction presque perverse, où la position d’observé et d’observateur s’entrelacent. Malgré le rythme lent et les rares dialogues, on n’a jamais vraiment accès à l’intériorité des personnages. Le film laisse des vides, que le spectateur est invité à remplir. On devient alors à notre tour voyeur et narrateur, imaginant ce que cache ce silence et ces gestes.
Stranger Eyes est un film dérangeant et subtil, qui ne se contente pas de montrer la surveillance, mais interroge notre rapport au regard, à l’intimité, et à la solitude. Un film qui ne se regarde pas, mais qui dans une mise en abyme effrayante nous regarde en retour.
Stranger Eyes en salles le 25 juin.
Stranger Eyes au cinéma à partir du 25 juin.
© Visuel : Akanga Film Asia / Epicentre Films