« Reine Mère », Manèle Labidi explore la question de l’identité

Un pitch inattendu, basé sur une histoire commune

Amel et sa famille apprennent que leur propriétaire souhaite récupérer son appartement d’ici à quelques mois. Alors que Mouna, sa fille aînée, commence à avoir des visions de Charles Martel, et que leur demande pour un nouveau logement social s’éternise, Amel n’a plus d’autre choix que de se réinventer.

Dans cette comédie originale qui se déroule avant les années 2000, la réalisatrice dépeint l’équilibre d’un couple, quarantenaire, moins décidé à se libérer de l’injonction sociale de la condition d’immigré à laquelle il est assigné, qu’à écrire son propre récit familial. Après Golshifteh Farahani dans Un divant à Tunis, c’est Camélia Jordana qui campe devant la caméra de la cinéaste franco-tunisienne une femme volontaire et éruptive aux côtés d’un Sofiane Zermani tendre et consensuel.

S’appuyant sur ses souvenirs d’enfance, Manèle Labidi exhorte avec pudeur un traumatisme générationnel qu’elle tourne en dérision. Celui d’une histoire de France qui ramène systématiquement les immigrés du Maghreb aux Arabes arrêtés à Poitier par Charles Martel. Dans une France alors même pas constituée en tant que Nation, l’Histoire bien entendu est bien plus compliquée. Mais peu importe, la légende est faite pour traverser les siècles et nourrir les fantasmes, en s’amplifiant par des sobriquets et chansons railleuses que l’on retrouve parfois dans les cours d’école.

Réconcilier l’Histoire pour déconstruire les préjugés

C’est justement la pré-adolescente Mouna en quête de repères, sous les traits de Rim Monfort qui, d’abord effrayée par cette figure historique surgissant de sa psyché, finit par faire de ce « grinch » son meilleur allié pour défendre son intégrité, à l’école et jusque dans sa famille. Sous les traits de l’excellent Bastien Bonnard, Charles Martel nous apparait râleur et sympathique. Mais je vous vois venir, voilà bien un stéréotype facile qui colle aux descendants des francs. Que nenni, car Manèle Labidi a eu la bonne idée de construire un personnage tout aussi râleur, fier et un peu revêche, en la personne d’Amel (la mère de Mouna dans le film) interprétée par Camélia Jordana. A contrario, Amor son mari interprété par Sofiane Zermani laisse entrevoir sa part de féminité, jouant au crooner sentimental pour faire de sa bienaimée une reine.

Auteure-scénariste, Manèle Labidi livre une nouvelle fois son talent d’écriture fine et intelligente qui rend obsolète les préjugés auxquels sont confrontés ses trois personnages. Elle déconstruit le récit national, puisqu’on y apprend que « les berbères ne sont pas des Arabes », et que « Charles Martel n’a pas arrêté les arabes à Poitiers » de son propre aveu. On revisite quelques clichés qui font sourires, rires et s’émouvoir.

Entre chronique sociale et comédie grinçante sur le temps long de l’assimilation, l’histoire offre une caisse de résonance à la double culture en confrontant la question de l’identité à l’imposture et aux préjugés. On entrevoit l’impact à travers l’accès au travail et la politique du logement dans la vie quotidienne. Mais on fait fi de toutes ces tracasseries, car c’est avant tout le triomphe d’une histoire d’amour banal et intemporel qui reste imprimé par la voix suave de Rachid Taha au clap de fin.