Le producteur Oury Milshtein se livre à une sorte d’analyse pudique, en retrait : ce sont les siens qu’il filme et observe, pour garder les traces.
Curieuse entreprise, présentée de biais, l’air de rien : Oury Milshtein se rend chaque jour au cimetière pour poursuivre la conversation avec son psychanalyste, mort depuis plusieurs années. Mais c’est sur une autre tombe qu’a lieu cet échange à sens unique. Oury Milshtein pratique un humour flegmatique : arrivé à l’âge de la retraite, autant finir quelque chose une fois et, donc, réaliser un film de A à Z.
Au début, le rire domine. Oury Milshtein a réuni dans son salon ses deux ex-femmes, ses deux fils et ses deux filles, pour leur montrer le film de son premier mariage, alors orchestré royalement par Enrico Macias, le père de la mariée. C’est un peu « Mon incroyable beau-père ». Avec une tendresse amusée, parfois déconcertée, les femmes et les enfants rient ou s’offusquent devant cette figure paternelle aussi bienveillante qu’envahissante. Entre la culture juive séfarade expansive et libérée et les névroses du juif ashkénaze Oury Milshtein, il y a en apparence un fossé. Mais il y avait surtout, on le lit dans les regards de sa première femme Jocya dans et les siens, beaucoup d’amour des deux côtés.
Tout comme avec sa seconde femme, très différente, plus en retenue et plus caustique. Elle n’est pas juive, et lui a donné trois filles. Deux sont présentes. On comprend vite que l’existence d’Oury Milshtein est marquée par les fantômes : sa fille, pour qui sans doute le film est réalisé. Mais aussi sa mère, son père, sa dernière compagne, Kate Barry.
Le rire a toujours une place, mêlé de souffrances, de deuil. Oury Milshtein filme les réactions en gros plans de ses enfants leurs perplexités ou leurs larmes, avec leur accord. De ses travaux avec Agnès Varda, Oury Milshtein a bien retenu l’acuité du regard et la force de la liberté. Comment aimer encore, après avoir vécu le pire ? Comment aimer et le dire avec une mère qui, elle-même, était incapable de consoler ? Notre besoin de consolation est impossible à rassasier – ce titre de Stig Dagerman (1952) résonnerait bien ici.
Oury Milshtein, Pour ton mariage, 79 minutes, Rezo Films. Sortie le 20.12.2023.
visuel (c) Rezo Films