 
  Sélectionné à Cannes dans la section Un certain regard, Pile ou face, est le deuxième long-métrage de fiction des réalisateurs Alessio Rigo de Righi et Matteo Zoppisun. Une relecture comique dans l’univers du Western. En salle le 7 janvier.
Chapeau de cow-boy, gun, cigarettes sans filtres, blonde étouffée dans un corset, tel est le décor planté par les Western : ce genre cinématographique très masculin.
Pile ou face, donne à voir une autre version du plus américain des registres cinématographiques.
Voilà, dans l’Italie du début du XXème siècle, Rosa (Nadia Tereszkiewicz), fille de prostituée aux boucles rousses, est mariée au puissant propriétaire Ercole Rupé (Mirko Artuso), de 30 ans son aîné. Mais elle a le béguin pour Santino (Alessandro Borghi), le beau-gosse téméraire, et c’est réciproque. Un jour Rosa craque face à la cruauté du propriétaire, jaloux de la popularité de Santino, et elle tire. Boum…Rupé meurt, Santino et sa belle fuit vers des jours meilleurs où ils pourront laisser libre cours à leur amour. Sur un cheval, avec pour seules vivres une gourde à moitié vide, les amants arpentent l’Italie.
Au premier abord, rien de bien original : l’histoire semble revisiter des clichés, des leitmotivs vus et revus. Mais ici, notre héros, Santino, est un homme chiffon, un enfant de chœur presque lâche et la belle est déterminée, féroce. Les cow-boys sont ridicules de méchanceté et le tableau du rêve américain dessine des couleurs glauques.
En quatre chapitres, Pile ou face, nous conte l’histoire de Rosa. La femme la plus cow-boy de tous les cow-boys.
John C.Reilly, connu pour son exubérance comique (Carnage, Boogie Night…) du haut de son mètre 90 et de sa voix puissante, nous en fait voir de toutes les couleurs dans le rôle de Buffalo Bill. Il débarque en Italie avec son spectacle itinérant du Wild West, pour promouvoir le mythe de la conquête de l’Ouest. Qui dit conquête de l’Ouest, dit forcément colonisation…Ainsi Bill, emploie des natifs américains dans son spectacle -appelé à tort les Indiens. John C.Reilly avec sa voix d’ours et sa carrure imposante incarne l’américain colonisateur par excellence : grotesque et dénué de sensibilité. Mais pas sans humour, la signature de Buffalo comme de l’acteur. Son jeu favori ? Pile ou face. C’est comme ça que Bill rythme son existence. Le jeu et l’argent. Alors quand Rosa s’enfuit, Rupé lui demande de ramener sa belle contre une jolie somme. Mais rien ne se passera dans le bon ordre…
Parfois, souvent, le film prend une autre direction que celui du Western : plutôt celle de la comédie horrifique ou du thriller politique. Le long-métrage a parfois des airs du film, The Voices (Marjane Satrapi), lorsqu’elle trimbale partout avec elle sa tête décapitée (on ne dira pas de qui) qui finit par lui parler. Des passages aussi drôles qu’absurdes qui élèvent la narration.
C’est bien l’histoire de Rosa, d’une femme, et non celles des hommes que l’on nous conte. Rosa, avec son unique corsage, grisé par le temps et les intempéries de son périple. Au jeu de Bill, c’est Rosa qui gagne : « Pile je te ramène, face on fait un duel ». Ce sera le duel et la mort du Buffalo. À tous les jeux, Rosa gagne. Seule contre tous, elle avance dans ce décor de far-ouest. Car en définitive, la jeune femme aux tâches de rousseur piquantes, est bien plus téméraire que ses porte-jarretelles le laissent croire. Plus brave que son Jules, faussement héroïque et anarchiste. Santino se voit érigé au rang de héros pour avoir tué le riche Rupé, parce qu’il est homme, on se persuade qu’il est le sauveur de ce propriétaire despotique. Mais c’est bien la cowgirl aux tâches de rousseur aussi piquantes que son phrasé qui a propulsé le propriétaire dans les ténèbres, Santino n’en aurait jamais eu le courage.
Alors Rosa n’a pas besoin d’hommes pour se délivrer, Rosa n’a pas besoin d’eux pour avancer. Si Santino meurt, elle, reste.
De fait, Pile ou face renverse les codes du western classique : c’est Rosa qui manie le pistolet comme personne, elle qui se faufile entre les embûches. C’est la dame avec sa mâchoire carrée et sa beauté des faubourgs qui garde la tête froide au milieu de cette révolution faite de whisky et de poussière.
Le film se présente comme un anti-western avec des anti-héros, à la façon de Django. Dans la réalisation de Tarantino, le héros n’est plus un homme, venu tout droit du XIXᵉ siècle avec la peau blanche. Mais un homme noir qui a brisé les chaînes de l’esclavage. Tout comme le personnage principal de notre œuvre se trouve être une femme qui a renversé les codes patriarcales du Western. Un protagoniste très féminin pour un genre très masculin.
Cailloux, montagnes, marais et champs de blé défilent à l’écran : des paysages désertiques font voyager le spectateur dans ce far-ouest Italien. Une photographie grandiose. Un voyage visuel qui s’accompagne d’un orchestre classique où beauté panoramique et symphonique se mêlent. En quatre chapitres, le public traverse la Toscane, de long en large, de sommet en montagne, sous le soleil ou sous la tempête.
Pile ou face déplace l’Amérique en Italie et nous surprend avec un contre-western humoristique. On y retrouve Nadia Tereszkiewicz en cowgirl guerrière qui nous fait penser à son personnage dans le film de Dominik Moll, Seules les bêtes. L’acteur Alessandro Borghi sait dissimuler sa physionomie avantageuse au profit de cet anti-héros comique et pathétique, à la manière de Léonardo DiCaprio dans le dernier long-métrage de Paul Thomas-Anderson : Une Bataille après l’autre.
Avec ce long-métrage, les réalisateurs italiens Alessio Rigo de Righi et Matteo Zoppisun, remplacent l’épaisseur caractéristique des Western par une légèreté de ton satirique et incarné. Mais ils substituent aussi les pantalons aux jupons et se débarrasse ce faisant de la masculinité exacerbée des Western, ici moquée.
Nadia Tereszkiewicz interprétant le rôle de Rosa
Après Julie en 12 chapitres, Rosa en 4 chapitres, Pile ou face, en salle le 7 janvier, à aller voir sans retenue.
Visuel: © Shellac Films
 
  
  
  