Avec Nuit obscure – « Ain’t I a Child », Sylvain George achève sa trilogie sur les politiques migratoires, documentant le quotidien d’exilés mineurs à Paris. Un des 9 films présentés par l’ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion) au festival de Cannes 2025.
Le film s’ouvre sur une vidéo prise au téléphone portable en couleur. Des jeunes hommes sont en mer, sur un Zodiac, et crient de joie : « L’Europe ! ». Le reste du film est constitué d’images prises à Paris, dans un noir et blanc puissant, symbole d’une désillusion certaine. Sylvain George y suit trois jeunes marocains dans leur quotidien. Malik, Medhi et Hassan passent leur temps avec d’autres « harraga », terme signifiant en darija (dialecte marocain) « ceux qui brûlent », en référence à ces migrants clandestins prenant la mer pour rejoindre l’Europe. Ponctué d’images d’eau et de jeux de lumières presque abstraites, le film documente, dans la durée, un quotidien rythmé par la violence et la survie. Le rapport au temps s’y redéfini, à travers une vie nocturne filmée dans un noir et blanc qui brouille les pistes de la temporalité.
Alors qu’on pensait un silence installé, les voix de ces jeunes résonnent de plus en plus fort. Au pied de la Tour Eiffel, se réchauffant au dessus d’une grille de métro ou d’un feu, sous un pont ou sur une péniche, le temps s’écoule. Leur présence est saisissante devant la caméra de Sylvain George, mais semble disparaître aux yeux des autres habitant.es de Paris. Invisibles pour l’Europe, ou perçus comme des perturbateurs, ils habitent pourtant Paris et son espace public. Dans une scène particulièrement marquante, ils assistent, à une demande en mariage de touristes sur les quais de Seine et apparaissent lointains, exclus.
Filmé pendant la crise sanitaire du Covid, en plein hiver, dans un climat politique en tension, le long-métrage met en lumière le récit de ces exilés invisibles et invisibilisés. Peu à peu, la violence s’immisce dans chaque recoin de leur quotidien. Elle commence par les conditions de vies, se prolonge avec les interventions policières les délogeant, et contamine même leurs relations. Le réalisateur choisit de montrer ces individualités, dans un présent bien défini. Le long-métrage, sur le sujet des politiques migratoires, en montre ses conséquences directes sur les individus.
Ces jeunes s’approprient Paris, la nuit, et luttent pour survivre – par leurs amitiés, le vol, ou la drogue. Le film ne les dépeint pas comme des victimes, déconstruisant les schémas narratifs larmoyants invoquant le pathos. Ici, ce sont leur force de survie, leur lutte incessante, leurs joies insidieuses, qui tracent la direction du film.
Avec ce dernier long-métrage sur le sujet, le réalisateur reste fidèle à sa volonté de faire exister des récits trop souvent absents du cinéma. Sous son objectif, le cinéma devient nécessaire.
Visuel : ©Sylvain George
Présenté par l’ACID au festival de Cannes 2025.