Le jeudi 30 mai, premier jour du festival ManiFeste de l’Ircam consacré à la création contemporaine, nous avons assisté au ciné-concert «Chaplin factory». Un spectacle carrément Cult, qui se tiendra aussi à l’Opéra de Massy le 3 juillet.
La Grande Salle du Centre Pompidou est comble, sur une scène ouverte et couverte d’instruments. L’écran est encore blanc, les musiciens dirigés par Martin Matalon s’installent : on retrouve le trio K/D/M, composé d’Anthony Millet à l’accordéon, d’Aurélien Gignoux et d’Emil Kumyucuyan aux percussions, puis la soprano Clara Barbier Serrano, Nicolas Faregeix à la clarinette, Ingrid Schoenlaub au violoncelle, Louise Ognois au trombone. Invisibles, Etienne Démoulin et Sylvain Cadars occupent un rôle non négligeable dans ce ciné-concert, chargés respectivement de la réalisation électronique et de la diffusion sonore.
Martin Matalon, compositeur et chef d’orchestre, a réalisé en 1995 la musique de Metropolis de Fritz Lang, puis celles d’ Un chien andalou (1927), L’âge d’or (1931) et Las Hurdes terre sans pain (1932) de Louis Buñuel. Dès ses premières musiques de film, le compositeur argentin se refuse à la musique d’illustration, qui répond à un simple besoin sonore pour habiller le contenu projeté.
Sa ligne directrice est « d’entretenir avec le film une forme de relation d’amitié, tout en gardant son indépendance » et dans le noir et blanc de The immigrant, The vagabond et Behind the screen, le pari est tenu. La musique jouée n’ignore pas les films de Chaplin, et dès le début l’accord entre les deux semble si évident que l’on en oublierait presque les musiciens, éclairés seulement par une faible lumière chaude sur leurs partitions.
Dans un clair obscur équilibré, ils se rappellent à nous, dans le lyrisme des chants de Clara Barbier Serrano, ou des boucles électroniques bourdonnantes que l’acoustique renvoie d’un mur à l’autre de la pièce, sans savoir où ils apparaissent, quand ils se terminent, ou se mêlent à nouveau avec le reste de l’ensemble. Le cadre est idéal pour rire encore des sauts en équerre et farces de chapeau de Chaplin, mais la composition surprend par touches. On perd avec plaisir le fil de la pellicule pour poser un peu nos yeux sur les musiciens et musiciennes.
Les trois moyens-métrages choisis illustrent différentes facettes du réalisateur, entre revendications sociales, romantisme et début du cinéma. Dans un tournage d’époque, on jubile encore lorsque Charlot évite toutes les tartes à la crème devant Eric Campbell liquide et grotesque, on s’émeut d’un amour muet et musical dans The vagabond. On explose de rire devant les voyageurs du bateau ivre en partance pour le State of Liberty. La salle rit avec entrain. La soirée est légère et plus d’un siècle après leur sortie, on se dit pourtant qu’il ne leur manque rien. À voir !
Crédits photographiques (c) Quentin Chevrier