Après Jackie et Spencer, Pablo Larrain clôt le triptyque sur les femmes qui ont bouleversé l’histoire avec une étrange et fabuleuse immersion dans l’univers intérieur de Maria Callas quelques jours avant sa mort. Angelina Jolie incarne avec grandeur cette ultime mise en spectacle de la Diva assoluta en perte de voix et de repères. Au cinéma le 12 février.
Pablo Larrain réalise avec Maria le dernier biopic dans le cycle consacré aux icônes féminines dans un moment charnière de leur vie. Une fois de plus, Larrain fait un arrêt sur l’image pendant les quelques jours où tout bascule, pour creuser ensuite dans le drame intime qui se joue au vu et au su de tous.
Jackie (2016) plonge ainsi dans l’agitation de Jaqueline Kennedy (Natalie Portman), écartelée entre ses différents rôles (veuve, première dame, mère, femme du pouvoir) pendant les trois jours entre l’assassinat de John F. Kennedy le 22 novembre 1963 et ses funérailles nationales. Spencer (2021) sonde l’âme de Diana Spencer (Kristen Stewart) au travers sa décision de divorcer du prince Charles, prise lors du dernier Noël avec la famille royale au Sandringham en 1991.
Dans Maria, Larrain invite les spectateurs à observer Maria Callas, tel un invité discret et bienséant, au moment où elle perd sa voix, son sens de la réalité et sa vie. Refusant tout voyeurisme sur une femme seule, malade et en proie à une addiction aux hallucinogènes, Larrain renonce également à toute prétention de percer « le mystère Callas », de raconter sa vie ou d’élucider sa mort.
En revanche, Pablo Larrain lui offre une dernière somptueuse scène. Plus qu’un biopic, Maria est un opéra sur Maria Callas. La diva y est imposante, toujours maquillée et élégamment vêtue. Elle joue son ultime rôle, celui de Maria qui célèbre la vie de La Callas. Un parti pris irrésistible pour tout amateur d’opéra.
Maria ouvre avec la découverte du corps de Maria Callas le 16 septembre 1977. Elle avait 53 ans. Dans le salon, un petit groupe se forme autour de trois policiers : le médecin de Maria Callas (Vincent Macaigne), son majordome Ferrucio (Pierfrancesco Favino) et sa bonne Bruna (Alba Rohrwacher). Ses proches. Son dernier public.
Un gros plan en noir et blanc du visage d’Angelina Jolie qui chante Ave Maria surgit de l’obscurité et entraîne le spectateur dans le tourbillon au cœur de la vie de Maria Callas. Ses triomphes s’y mêlent aux moments intimes issus des archives personnelles. Ces vignettes sont filmées au Super 8 avec des optiques vintage, pour obtenir l’authenticité voulue par le directeur de la photographie Ed Lachman.
Le film suit une triple narration, démarquée par l’utilisation de trois formats de films. Le présent est filmé au 35 mm. L’action y est limitée, mais les décors signés Guy Hendrix Dyas sont spectaculaires. Dans un bâtiment vide à Budapest, les équipes du film ont fidèlement reconstruit la dernière résidence de Maria Callas au 36, Avenue Georges Mandel, conçue par l’architecte français Hector Guimard au début du XXe siècle.
Dans ce cadre luxueux, Maria vit son train-train quotidien. Dans son vaste dressing, rempli de statues et de fourrures, elle avale, cache ou cherche des cachets de Mandrax, un sédatif aux effets hallucinatoires. Dans la cuisine, elle chante à sa bonne qui lui prépare une omelette qu’elle ne mangera pas, et dans le salon en enfilade, elle instruit son majordome de bouger le piano à queue d’une fenêtre à l’autre au gré de ses humeurs.
Le deuxième récit est purement imaginaire et filmé au 16 mm avec une caméra Aaton, comme on aurait tourné des documentaires à l’époque. Maria y est suivie dans ses déambulations parisiennes et interviewée par un jeune journaliste dragueur, prénommé Mandrax, pour dissiper tout doute quant à la nature hallucinatoire de son existence. Répondant aux questions de Mandrax, Maria raconte les épisodes clé de sa vie, sur un ton théâtral dans cette diction particulière qu’Angelina Jolie a minutieusement travaillée.
Ses souvenirs, filmés en négatif noir et blanc pour préserver le grain, représentent la dernière couche narrative. On y retrouve sa première rencontre avec Aristote Onassis, le grand amour de sa vie qui a fini par épouser Jacqueline Kennedy, le dialogue crédible mais peu probable avec John F. Kennedy, les scènes pleines de menace de son enfance en Grèce pendant la guerre et encore Onassis sur son lit de mort, d’où elle sort par la porte de service pour éviter Jacqueline.
Angelina Jolie est tellement convaincante en Callas qu’on a parfois l’impression que la diva s’est emparé du corps de l’actrice pour s’octroyer un bref et éclatant retour à la vie. L’identification d’Angelina Jolie avec son rôle en est troublante, d’autant plus que même sa voix est mélangée à celle de Maria Callas. Angelina Jolie chante elle-même les airs d’opéra dans le film – elle a appris à chanter pendant sept mois – mais sa voix est augmentée pour se rapprocher de la sonorité de Callas.
Maria est une commedia dell’arte insolite et révérencieuse, audacieuse et pudique, factuellement impertinente, esthétiquement accomplie, techniquement astucieuse et portée par une Angelina Jolie totalement habitée par son personnage. À voir absolument !
Visuels : © Pablo Larrain © ARP-FilmNation