Après le multi-primé Les Triplettes de Belleville et L’Illusionniste, Sylvain Chomet revient avec un autre long-métrage d’animation en l’honneur de Marcel Pagnol. Un hommage poétique mais trop conventionnel.
Sylvain Chomet est le réalisateur hanté par le Paris d’antan. Pour son troisième long-métrage d’animation, il met de nouveau en scène son amour pour la ville lumière à travers une figure artistique intrinsèquement liée à Paris : le cinéaste Marcel Pagnol. C’est à Paris que Marcel deviendra Monsieur Pagnol. De son enfance dans les montagnes marseillaises, à son succès comme cinéaste, en passant par ses débuts en tant que dramaturge, un drame familial et la Seconde Guerre mondiale, Sylvain Chomet nous conte avec délicatesse, mais sans trop de relief, l’histoire d’un cinéaste qui a bouleversé le cinéma français.
Avec les voix de Laurent Lafitte, Géraldine Pailhas, Thierry Garcia, Anaïs Petit, Vincent Fernandel et Véronique Philipponnat.
Tous les films du réalisateur des Triplettes de Belleville sont un voyage dans le temps. Sylvain Chomet fait le plus souvent remonter l’horloge pour faire découvrir aux spectateurs le Paris d’antan. Son œuvre est traversée par son amour pour la ville lumière. Déjà dans son premier court-métrage, l’excellent La Vieille Dame et les pigeons, il nous faisait plonger dans le Paris des années 50. Dans son long-métrage animé Les Triplettes de Belleville, c’est le Paris des années 30 qui était à l’honneur. Ici c’est le Paris du début du XXe siècle aux années 70 qui est mis en scène. Celui qui réalisait, en 2006, la comédie-romance Paris je t’aime, avec notamment Juliette Binoche ou encore Elijah Wood, n’a eu de cesse de présenter la ville comme la capitale des artistes, une somptueuse et inspirante cité des arts. C’est peut-être sa première source d’inspiration. Dans tous ses films, la ville joue un rôle capital. Avec son coup de crayon magique, Chomet rend possible le voyage dans le temps. Les arts de la scène: la musique, le cinéma ou même la magie, mise à l’honneur avec le film L’illusionniste, animent aussi le réalisateur. Retracer la vie des artistes : de la galère des débuts à la gloire, c’est en réalité la vie de bohème, si souvent associée à Paris, qu’il aime mettre en scène.
Ainsi, on suit la trajectoire singulière de Marcel Pagnol. Il quitte Marseille pour s’installer à Paris, la ville des auteurs et du théâtre. Très vite il déchante face au caractère hostile de la ville qui sera pourtant bientôt sienne. Dans sa petite piaule sous les toits, Marcel écrit, rencontre des auteurs, des actrices et sera bientôt le dramaturge le plus en vue de la ville.
D’ailleurs, pour incarner le plus marseillais des cinéastes, Sylvain Chomet a choisi le plus parisien des acteurs : Laurent Lafitte…
Dans ce long-métrage et à l’image d’un autre dessinateur, Joann Safar, le réalisateur choisit de poétiser la vie de Marcel Pagnol en ajoutant un protagoniste fantôme : un petit garçon, prénommé Marcel, incarnation de l’âme d’enfant du cinéaste.. Marcel suit et guide Monsieur Pagnol dans toutes les étapes de son existence, lui permettant de rester intègre aussi bien à lui-même qu’à ses désirs artistiques de toujours. Chez Joann Safar, dans son film à succès Gainsbourg vie héroïque, c’était La Gueule qui hantait le musicien depuis son enfance. Un personnage monstrueux symbolisant le mal-être et les angoisses de Serge Gainsbourg.
Le petit Marcel est donc la personnification du « vrai ». Sylvain Chomet avec ce protagoniste cherche à mettre en avant la personnalité particulièrement intègre de Marcel Pagnol. Un cinéaste tiraillé entre l’éducation de son père, un homme qui ne jure que par la littérature classique et son goût pour le comique de langage, qu’un petit garçon à l’accent chantant s’efforce de rappeler à l’ordre.
Les animaux sont toujours très présents chez le dessinateur. Ils accompagnent les personnages dans leur existence, une figure amie mais aussi révélatrice. Comme le petit Marcel, l’animal représente le vrai. Il est brut et intègre comme le sont les enfants.
Dans l’œuvre cinématographique de Marcel Pagnol les animaux sont aussi très présents. Il mettait souvent en scène de réels animaux, en particulier des moutons et des chèvres. Ainsi, dans le quatrième long-métrage du réalisateur marseillais, le mouton prénommé « Bœuf » est un personnage à part entière. Les pigeons parisiens de Chomet font place aux moutons et aux chèvres de Pagnol. Néanmoins l’oiseau, l’animal fétiche du dessinateur est bien présent ici. Un corbeau apparaît comme en présage dès le début de la narration. Une figure poétique et symbolique, intervenant dans une scène clé pour enrichir l’intrigue et souligner la dimension artistique du récit.
La signature graphique de Chomet c’est sûrement ces nez hypertrophiés et ces visages allongés qu’il impute à ses personnages. Dans ses films, le nez est la caractéristique physique prédominante des protagonistes. Avec Les Triplettes de Belleville nommées 2 fois aux Oscars, le dessinateur a définitivement ancré cette singularité comme une véritable signature. Marcel Pagnol se serait cassé le nez lors d’un combat de boxe, lorsqu’il était jeune adulte, Sylvain Chomet n’a évidemment pas manqué de mettre en scène cet épisode de la vie du réalisateur de Manon des sources. Une signature graphique qui symbolise aussi le temps car le nez évolue en même temps que le visage. Ainsi le petit Marcel est reconnaissable de Monsieur Pagnol par son nez droit. Dans Les Triplettes de Belleville, le nez du personnage s’allongeait en même temps qu’il grandissait.
Marcel Pagnol est un cinéaste incontournable dans l’histoire du cinéma français notamment parce que c’est lui qui a introduit le cinéma parlant déjà présent en Angleterre. La plupart des animés de Chomet étaient muets. Pas de dialogues, ou alors très réduits dans La Vieille Dame et les pigeons, Les Triplettes de Belleville et dans L’Illusionniste. Pourtant dans ces 3 films animés la poésie est bien présente, c’est l’essence même de ces longs-métrages. Ici, comme Marcel Pagnol, le dessinateur passe du cinéma muet au parlant mais cela semble un peu moins lui réussir… La dimension poétique est affaiblie par des dialogues trop caricaturaux, manquant de profondeur. En dotant ses personnages de paroles, la portée humoristique diminue elle aussi. Le comique de gestes semble mieux réussir au réalisateur.
Ainsi la poésie de Chomet se fait davantage visuelle qu’écrite.
Sylvain Chomet et Marcel Pagnol sont des réalisateurs d’époques et de styles différents : l’un fait des films animés depuis le XXIe siècle, l’autre des films réels depuis le XXe. Mais pourtant ils ont en commun la poésie de leur cinéma, leur amour pour le « vrai » et pour Paris.
Marcel et Monsieur Pagnol en salle le 15 octobre, un film animé délicat mais loin de la poésie informelle des premiers longs-métrages.
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