 
  La réalisatrice Anna Cazenave-Cambet décline dans Love me tender les mille et un visages d’une femme émancipée et punie pour ça. Ce portrait honnête qui sort le 10 décembre 2025 au cinéma n’embellit rien des choix de son héroïne où plane l’amour indélébile pour son fils, dont elle est privée par orgueil. Ce regard intimiste rejoint une réflexion nécessaire sur le rôle donné aux femmes, y compris à notre époque.
« Tu es tellement égoïste ! » Cette phrase, prononcée par le mari de l’héroïne, jouée par Vicky Krieps, pourrait résumer le conflit qui bout dans Love me tender. Le film, adapté du roman de l’ancienne avocate et écrivaine Constance Debré, suit le retour à la surface d’une femme imparfaite libérée par son coming-out homosexuel, mais poursuivie en justice par son ex-mari. Ce dernier l’accuse du jour au lendemain de « pédophilie » pour pouvoir lui retirer la garde de son fils, Paul. La réalisatrice Anna Cazenave-Cambet dépeint ici le combat d’une quarantenaire innocente de l’horreur dont on l’accuse.
Si le propos peut être glissant – l’inceste touche 1 enfant toutes les trois minutes en France selon les associations en 2023 –, l’œuvre dissipe rapidement tout doute. Il ne sera pas ici question directement du point de vue de l’enfant, mais de la quête d’une femme aspirant à la fois à revoir Paul, tout en se refusant à n’être qu’une mère.
Entre baignades intenses, coucheries sans lendemain avec des femmes enamourachées et amour inconditionnel pour son fils, Clémence Delcourt dit définitivement adieu à sa vie proprette de bourgeoise et croque la vie. Les débuts sont joyeux : elle va à la piscine, séduit une autre nageuse, appelle Paul en visio sous le soleil de l’été. Assez vite, la première douche froide la ramène à la réalité : il n’a pas envie de la voir, puis son père, Laurent, ne réponds plus aux appels téléphoniques. Les mois passent, puis c’est la révélation, lourde, glaciale : son ex-mari qui jusque-là refusait de divorcer, la poursuit en justice pour des faits horrifiants.
Les regards se croisent ou se heurtent à la colère. Anna Cazenave-Cambet filme avec empathie cette famille qui se fragmente, en se focalisant sur Clémence, femme avant d’être mère. Éconduit après vingt ans de mariage, Laurent s’enfonce dans la vengeance.
D’abord, on prend fait et cause pour elle devant l’injustice de la séparation et le temps long de la justice. À aucun moment, martèle-t-elle, n’a-t-elle arrêté de s’occuper de son fils. Ce que lui reproche celui avec qui elle a partagé sa vie, c’est de l’avoir délaissé, lui. Blessé, le voilà qui manipule Paul, huit ans. Ensuite, on tente de comprendre Laurent, qui « paye tout » dans la vie de l’enfant, pendant que Clémence s’encanaille dans les rues de Paris, pas un rond dans les poches.
Mais le soutien de la protection de l’enfance et la solitude grandissante de Clémence ne trompent pas. Cette rupture familiale n’a pas lieu d’être, pas à ce point-là. Ce sont finalement deux égoïsmes qui s’affrontent, mais celui de Laurent est plus injuste : il prive son ex-conjointe de son propre fils. Est-ce bien en 2015 que nous nous trouvons ? Les remarques homophobes fusent et choquent. Les relations lesbiennes qu’entretient Clémence contribueraient à l’inquiétude du père pour sa progéniture. On se croirait au XXe siècle, quand l’homosexualité était encore considérée comme un délit devant la loi.
Face à ces affronts rétrogrades, elle se réfugie dans l’écriture, déménage souvent. Les personnages qui entrent et sortent de sa vie sont autant de pansements et d’histoires sans importance qui tentent de combler le vide. La musique électronique minimaliste de Maxence Dussère emplit ces scènes d’orage intérieur et de virées nocturnes. Nommé aux Oscars dans la catégorie meilleur son pour son travail sur le touchant et controversé Emilia Pérez, le compositeur insuffle une amplitude sonore bienvenue dans Love me tender.
Le temps s’effile, irrattrapable. Avec espoir et résignation, Anna Cazenave-Cambet filme à hauteur de femme l’injonction à être mère dans une société qui voit d’un mauvais œil celles qui partent. Pourtant, sur les prés de 2 millions de familles monoparentales en France, 82% sont tenues par des femmes. Clémence fait donc figure d’exception qui confirme la règle : même en 2015, refuser d’être réduite à une fonction sexiste et vouloir vivre sa vie peut encore ne pas passer. Face à cette essoreuse, la voix off de la narratrice cherche une échappatoire, par le deuil ou la réconciliation. Déchirant.
©Tandem