Co-développé avec son acteur fétiche, Raphaël Thierry, Anaïs Tellene a choisi ses propres codes pour raconter une fable moderne, sensuelle et poétique. Un coup de maître pour son premier long métrage projeté au festival international du film de Saint-Jean-de-Luz.
Raphaël n’a qu’un œil. Il est le gardien d’un manoir dans lequel plus personne ne vit. A presque 60 ans, il habite avec sa mère le petit pavillon qui garde l’entrée du grand domaine bourgeois. Entre la chasse aux taupes, la cornemuse et les tours dans la Kangoo de la postière, les jours se suivent et se ressemblent. Par une nuit d’orage, Garance, l’héritière, revient dans la demeure familiale. Plus rien ne sera plus jamais pareil.
Un livre d’images
Le film met en scène la collusion de deux personnages aux existences complètement opposées, mais qui vont réussir à se rencontrer sur le terrain de l’art. Il joue de la cornemuse en regardant la lune. Elle est en panne d’inspiration dans son art et dans sa vie. Plasticienne égocentrique au tempérament expéditif, elle va trouver un homme monolithe qui va la faire redescendre et relancer sa créativité.
Avec des arrêts sur image sur : la nature, le ciel, les corps ; le rythme donne le sentiment de feuilleter un livre d’images. Il y a très peu de dialogue, toutes les composantes du film participent au récit. La couleur, la météo, la forêt, la terre, le vent, sont le langage de cet univers.
Un conte moderne
Comme dans un Quasimodo rural, le gardien, gargouille vivante de ce château ne sait pas quoi penser de cette Esmeralda éthérée. C’est elle qui montrera la voie en faisant de lui sa muse. « Quand je vous regarde, j’ai l’impression de me promener, vous êtes comme un paysage. ».
L’action tourne autour du duo que forment Raphaël Thierry, impressionnant en statue vivante, et Emmanuelle Devos, excellente en artiste perchée au bord de la crise de nerf. Les autres personnages sont satellitaires : la vieille postière délurée, les copains de bistrot, et la vieille mamie ancrée dans la banalité des gestes quotidiens. Tout cet ensemble est tellement prosaïque qu’il donne des racines au film, on est bien là quelque part au fin fond du Morvan.
Du traditionnel conte à la française, qui rappelle le cinéma de Jacque Demy. Avec ce premier long métrage au charme insensé, Anaïs Tellenne ouvre une brèche singulièrement émouvante dans le cinéma français. Magique.