David Cronenberg s’emparera à nouveau des écrans le 30 avril 2025, avec la sortie de son nouveau film Les Linceuls. En compétition de la 77ème édition du Festival de Cannes, le long-métrage porté par Vincent Cassel et Diane Kruger s’articule autour du deuil et de la technologie.
Le maître du body horror n’a pas dit son dernier mot. Dans Les Linceuls qu’il qualifie comme son « film le plus autobiographique », David Cronenberg rend hommage à sa femme Carolyn, disparue il y a huit ans. À l’écran, Vincent Cassel incarne le double du cinéaste dans le rôle de Karsh. Homme d’affaires réputé, le cinquantenaire est hanté par le décès de son épouse. Dans une tentative de consolation, il invente GraveTech, une technologie controversée de linceuls connectés. Lorsque plusieurs tombes, dont celle de sa femme, sont profanées, Karsh se lance dans une quête fébrile pour en retrouver les auteurs. Au fur et à mesure que l’intrigue avance, il finit par sombrer dans un amas de théories complotistes effarantes impliquant les Russes, les Chinois, les activistes écologiques…
« J’ai lu quelques critiques et certaines écrites par des journalistes stupides qui disent que la paranoïa et le complot n’ont rien à voir avec la notion d’amour et de deuil. Ces personnes n’ont rien compris au film », s’indignait Cronenberg sur la Croisette. Le cinéaste défend ardemment l’idée selon laquelle la paranoïa née du deuil est au cœur de son récit. Le problème, c’est que cette tension entre peine et dérive complotiste reste confuse à l’écran. Si l’intention est brillante, l’exécution est alambiquée, et laisse le spectateur perdu entre une intrigue sans queue ni tête et des dialogues prolixes. Trop bavard et dispersé, le scénario égard son fil rouge en cours de route et oublie là où il comptait emmener le spectateur au départ. Le rythme languissant, la pauvreté esthétique des plans, les scènes qui s’étirent au possible… une lassitude s’installe très vite. Que Cronenberg voie dans les théories du complot une réponse au besoin de sens face à la mort est fascinant. Mais encore faudrait-il que cette idée prenne vie au-delà de ses interviews : dans Les Linceuls, elle reste trop théorique pour nous prendre aux tripes.
Chez Cronenberg, le deuil passe par une esthétique glaciale. Les décors eux-mêmes en sont un symptôme frappant. L’action se déroule dans une ville indéterminée, dans des espaces neutres : cimetière parfaitement taillé, intérieurs aux tons gris, sobres et impersonnels… La caméra s’y déplace avec des travellings lents ou des plans fixes, qui accentuent la distance avec le spectateur. Même les scènes les plus intimes manquent de chair. Lorsque Karsh s’adresse à sa femme défunte via une intelligence artificielle à son effigie, le potentiel scénographique est fort. On fait face à un veuf qui refuse la séparation, qui préfère l’illusion numérique à l’acceptation de la perte. Pourtant, rien ne se passe. C’est une suite de champ-contrechamps statiques, avec un homme seul face à son écran, dépourvu d’émotions. Même la voix-off de sa femme, bien que ce soit une IA, n’est rien de plus que robotique et déconnectée. En somme, le film fait totalement l’impasse sur l’intimité, l’émotion et la chaleur. Il se peut que ce parti pris soit volontaire, qu’il s’agisse d’une manière de montrer que la technologie bloque le deuil et l’émotion. Malheureusement, cette idée ne se manifeste que par une forme de lassitude, et un manque d’empathie envers les personnages. De surcroît, l’émotion ne se brise pas au contact de la machine, mais n’existe tout simplement pas. Ici, le deuil passe par l’écran, jamais par les larmes. Le spectateur est invité à interpréter, mais jamais à ressentir. Un choix artistique, peut-être, mais au prix de toute émotion.
Visuel : © Pyramide Distribution