Le festival du cinéma d’Albi sera marqué en 2025 par la proposition d’un film rare, de ceux qui portent la voix sans jamais hausser le ton. Avec ce premier long métrage d’une grande maturité, Chloé Aïcha Boro ouvre un espace nouveau dans le cinéma ouest-africain, celui d’une révolution intime, féminine, lumineuse.
Le point de départ est simple : une adolescente, Natie, découvre que sa grand-mère Awa -arrachée à son premier amour- a été mariée contre sa volonté. Elle décide de réparer l’histoire, comme on recoud un tissu déchiré. Le projet est mené en cachette de sa propre mère qui ne l’entend pas de cette oreille. Voilà trois générations qui vont s’entrechoquer pour livrer un récit collectif de l’amour, mais aussi des valeurs, des traditions et de la transmission ; dans un Burkina Faso fébrile politiquement. À travers des personnages campés que parfois tout oppose, Chloé Aïcha Boro dessine un dialogue entre générations qui n’a rien d’un cliché. C’est aussi ce qui rend le film si puissant : il ne cherche pas à convaincre, il construit des ponts entre le personnel et le politique, entre le passé et l’avenir. Et tout ça à travers un thème universel qui se vit à tout âge.
La mise en scène, ample mais jamais appuyée, capte quelque chose de profondément vrai : la manière dont un corps porte les regrets, les renoncements, les amours empêchées. Awa, personnage bouleversant, incarne cette douleur muette avec une dignité qui brise le cœur. Face à elle, Natie est un vent d’air frais, de révolte, de naïveté salvatrice. Pas de grandes scènes démonstratives, pas de dramaturgie outrée. La réalisatrice a préféré les regards aux manifestes, pour traiter le fond. Pour autant, à la surface, quelques scènes de palabres sont savoureuses. Tout est très incarné. Les femmes sont fortes et belles, les tenues pimpées, et avec cette lumière simplement magnifique : le pays devient lui-même un corps sous le regard de Chloé Aïcha Boro. Et lorsque l’expression est empêchée, elle prend la forme d’instruments de musique posés là, ou d’amour fantasmé.
Chloé Aïcha Boro traite son sujet avec une complexité très réaliste ; et elle le fait avec une approche absolument artistique. Le corps du pays, c’est celui de la grand-mère Awa -dépossédée-, c’est aussi celui de Natie qui cherche à se positionner. La révolte de la jeune fille, c’est celle d’un pays qui résiste à une réalité politique, celle de l’invasion djihadiste en arrière-plan. C’est un très beau film fait avec des bouts de ficelles et beaucoup d’âmes. A commencer par celle de la réalisatrice qui nous livre un récit intime. Et puis l’âme aussi de Cyrille Aufort qui a composé une musique qui accompagne sans que l’on s’en rende compte l’histoire. Les notes au début discrètes et aériennes comme des bulles, s’installent naturellement et la bande se fait de plus en plus sonore au fur et à mesure que l’histoire avance et que la menace se rapproche. Présente à la projection, la réalisatrice a partagé ses positions et ses inquiétudes. Sa manière de lutter pour la liberté des corps et des cœurs est aussi une façon de lutter pour la liberté d’un peuple. Et la scène de fin nous rappelle l’effroyable nécessité de culture ; que reste-t-il d’un pays, lorsque ses griots ne peuvent plus chanter ?