Alors que se déroulent ces Entrevues de 2024, la Compétition de longs-métrages offre à l’amateur de fictions justes et personnelles quelques chemins à parcourir.
Le Festival des premiers, deuxièmes et troisièmes films revient apporter son lot de potentielles découvertes, en cette année 2024. Sa Compétition de longs-métrages continue à creuser le sillon du nouveau cinéma américain d’auteur, côté fictions programmées. On lui donne totalement raison, tant on se rappelle avec émotion de splendides révélations qu’elle donna à apprécier, au cours des dernières éditions. En 2022, ce fut Hannah Ha Ha, avec ses bords d’image parfois flous encadrant la mini épopée d’une jeune fille sommée « d’être enregistrée » comme tout le monde. En 2023, le cœur pencha pour An evening song (for three voices), ses artistes déchirés des années 30 et la femme en partie brûlée engagée par eux, conduits aux limites des sentiments à pas de surimpressions et de lumière irradiante fouillant âmes et plaies. Le duo Joshua Pikovsky et Jordan Tetewsky d’une part, Graham Swon d’autre part : des noms que l’on garde en tête, que l’on veut suivre.
En 2024, c’est No sleep till qui accueille le spectateur désireux d’avoir des nouvelles américaines transmises avec un oeil neuf. Portrait d’une ville se préparant à un passage d’ouragan, il a recours au temps légèrement suspendu, aux êtres incertains et aux micro péripéties pour toucher son sujet. Il fouille avec délicatesse, en laissant le temps légèrement se déplier. Jeunes comiques débutants et doutant, amoureuses sur le fil : toutes et tous paraissent mettre cette tempête approchant au même rang que leurs hésitations. Alexandra Simpson, celle qui signe ce long-métrage, sait faire émerger des choses, tant elle prend le temps, avec ses images, et ce même si parfois sa mise en scène se fait trop carrée. Une réalisatrice, en tout cas, issue d’un nouveau cinéma américain représenté aussi entre autres par le cinéaste Tyler Taormina, révélé auprès de certains par Ham on rye, portrait de groupe qui avait de même pour lui une attention au temps, donnant des mini fulgurances, mais aussi parfois trop de citations dans sa besace.
Cette année, le nouveau cinéma américain est également représenté par le réalisateur Jinho Myung. Lui propose Softshell, qui arbore une atmosphère très différente. Ses images granuleuses et son rythme davantage virevoltant sont là pour traduire la manière dont un frère et une soeur d’origine thaïlandaise se cognent à la vie, après la mort de leur mère, au sein des États-Unis. Passions respectives – nature, et sport de combat – relations amoureuses peu exaltantes… Autant de pièces de puzzle qui les amèneront, avec le spectateur, à se questionner un peu sur la place qu’ils occupent dans la vie et dans la société américaine actuelle. La narration un peu heurtée mais cependant lumineuse de ce long-métrage fait sa qualité. Sa limite aussi, parfois : elle mène à de la dispersion en certains endroits, ce qui amène les grands thèmes à ne pas être traités de manière assez fouillée. D’autant plus que le film comporte une scène atroce et dispensable, voyant une vraie tortue – il semble – être décapitée en gros plan.
A l’écart du nouveau cinéma d’auteur américain, les Entrevues de cette année ouvrent aussi une fenêtre sur le long-métrage de fiction ultra contemporain originaire de Géorgie. Un pays dont on prend de plus en plus de nouvelles cinématographiquement parlant, notamment via des noms comme Dea Kulumbegashvili – le très déroutant Au commencement – ou Alexandre Koberidze. Cette année, c’est The Antique qui vient briller au sein du Festival de cinéma se tenant dans Belfort. On s’y attache à une immigrée géorgienne tentant de s’installer dans Saint-Pétersbourg en 2006, et se heurtant à des russes ambivalents à son encontre, et au final bien peu sympathiques. D’autant plus qu’au-delà de cette sphère privée, une agence lui vend l’appartement qu’elle occupe, sous des conditions douteuses. Et surtout, que le gouvernement de Vladimir Poutine se prépare à expulser une foule de Géorgiens… En plus d’être légitime et essentiel tant le sujet qu’il aborde doit être mis à l’écran, ce long-métrage de fiction-ci parvient à trouver un vrai souffle. On reçoit celui-ci en se laissant happer par la mise en scène, et les angles choisis : le territoire où se passe l’action et où se déploient les enjeux de cette dernière se trouve ici traduit, via ces moyens, de manière sensible. Tant pis dès lors si cette même réalisation cède parfois quelque peu à quelques effets superflus : on s’attache néanmoins au récit. La cinéaste Rusudan Glurjidze sait conduire l’histoire qu’elle prend en charge, avec de la fluidité et de la force.
Au sein de ces Entrevues se tenant cette année 2024, le nouveau cinéma d’auteur de fiction européen se montre aussi, via The sparrow in the chimney, originaire de Suisse. Son réalisateur Ramon Zürcher y prend pour sujet une famille réunie pour un été solaire mais assez meurtrier, observée via un onirisme qui sait se faire intéressant mais insiste parfois trop sur ses effets, lesquels deviennent trop voyants et donc égarants. Un Festival, en tout cas, au sein duquel il aura été donné aux spectateurs curieux de regards d’artistes filmeuses et filmeurs en pleine affirmation de plonger dans des essais avec de la fougue en eux, imparfaits mais soucieux de parler du monde actuel avec une forme personnelle visant à la justesse.