Comme à son habitude, le festival international du film de Saint-Jean-de-Luz a lancé sa compétition avec un film fort, qui annonce la couleur.
Alors qu’ils font paître leur troupeau, deux jeunes enfants bravent l’insouciance de leur jeunesse pour se frayer un chemin dans un labyrinthe ludique de montagne. La balade récréative des garçons devient un cauchemar quand ils sont attaqués par des jihadistes. Nizar 16 ans, est tué tandis qu’Achraf, 14 ans, doit rapporter un message macabre à sa famille.
Multipliant les plans larges sur cet horizon aride, la gorge se noue dès les premières minutes du film. Le cinéaste a choisi la saison écrasante de l’été qui a conduit l’équipe à tourner par 50°, pour figurer la brûlure indélébile de cet attentat. Et durant toute la narration, l’alternance des jeux d’enfants avec la chronologie du supplice ravive le traumatisme. Le trio des jeunes amis est très réaliste. La nature joue sa partition avec le murmure du vent, le silence de la plaine, et le soulèvement du sable, présageant la menace. La musique arrive assez tard infiltrant doucement le récit collectif. La bande-son dépouillée d’artifice dramatique rappelle d’ailleurs, en quelques notes de mélodies les Jeux interdits.
S’emparant d’un fait réel qui a traumatisé la Tunisie une quinzaine de jours avant l’attentat du Bataclan en France, Lotfi Achour réalise un travail de mémoire dans un exercice cinématographique maîtrisé. Avec ce film, nous vivons aux côtés des tunisiens les 24 heures chrono qui ont suivi l’attentat dans une région reculée de la Tunisie. Il dépasse le choc pour ne garder que l’émotion qu’il arrive avec beaucoup de délicatesse à porter à l’écran dans un véritable suspens tragique.
« Tu as ouvert la porte de l’enfer et tu nous as abandonné ». Par cette seule réplique, c’est la sidération abominable d’un pays tout entier que le cinéaste nous livre. Son procédé répétitif de dislocation de l’innocence, du sacré, des valeurs, est tétanisant. Il nous fait vivre à travers la psyché du jeune Achraf la perte des repères et nous communique à travers la dignité du clan le courage et la solidarité qui les sauvent de leur propre détresse.
Le soulèvement des villageois prend naissance dans le huis clos du douar au sein même de la famille. Entre la crainte et les représailles, le refus de la résignation l’emporte pour offrir une sépulture au sacrifié. Le cinéaste est arrivé à figer la désolation de la mère, de chaque membre de la famille et surtout du trio d’adolescents. Les gestes d’ordinaire banals et tendres deviennent délicats et douloureux. Taper dans un ballon, prendre la main d’un enfant, chanter une ritournelle. On assiste à un renversement des valeurs provoqué par l’anesthésie d’une transgression au-delà des limites. On a attenté à des enfants, et ce massacre est comme celui de toute une génération confrontée à la promesse de l’effondrement.
À partir des enfants qui sont le cœur du film, Lotfi Achour dispose différents cercles concentriques élargissant le focus jusqu’à l’irradiation de toute une nation. Sans désignation directe – les cercles ne se touchent pas – l’auteur communique la misère qui conditionne le dénuement de ces populations pastorales. Il superpose le spectre du gouvernement, que l’immobilisme de la police a livré à la barbarie. Enfin, l’enjeu politique survole les frontières, et relie la tragédie au djihadisme qui sévit aussi dans cette région du monde.
Le film a reçu, à Saint-Jean-de-Luz, le Prix de la Mise en scène, décerné par le jury présidé par Zabou Breitman, et constitué de Anne Charrier, Alexis Michalik, Safy Nebou et Reinhardt Wagner. Il a également touché les cinéphiles de Saint-Jean-de-Luz qui lui ont attribué le Prix du Public.
Sortie au printemps 2025 en France et en Tunisie.