Les damnés ne pleurent pas du réalisateur marocain Fyzal Boulifa suit un fils et sa mère, inséparables, dans l’amour comme dans la misère. Un film sobre, qui nous rend témoins d’un passage à l’âge adulte.
Le film s’ouvre sur deux corps endormis, blottis l’un contre l’autre : ce ne sont pas deux amants, mais une mère et son fils. Zahra (Aïcha Tebbae) et Selim (Abdellah El Hajjouji) sont inséparables, par la force des choses. Acculés par la misère, ils errent d’un endroit à l’autre, ne trouvant nulle part un havre où se poser. Lorsque Zahra se résigne à trouver refuge dans sa famille, les siens l’accueillent avec une distance bien calibrée. Nous comprenons rapidement que Zahra se prostitue pour vivre et pour élever son fils. Outrageusement maquillée, embijoutée, cette femme dégage autant de mélancolie que de joie de vivre. A 17 ans, Selim est un jeune homme candide, assez taiseux, qui n’a pas encore pris conscience de son charme. Il ignore tout, bien sûr, des activités de sa mère, qu’il croit veuve de son père.
Fyzal Boulifa (The Curse, court-métrage primé à la Quinzaine en 2013, Lynn + Lucy en 2019) lève les voiles les uns après les autres, sans effets inutiles. Très sobrement, il nous rend témoin du passage à l’âge adulte d’un adolescent obéissant, qui découvre peu à peu que l’existence n’est pas toute noire ou toute blanche. Que doit-il à sa mère ? Que tient-il de sa mère ? Sans s’en rendre compte, le jeune homme suit ses traces, la beauté attirant naturellement les propositions d’argent facile. Embauché comme ouvrier chez un riche Français, à Tanger, Selim devient soudain objet de désir. Dégoûté, choqué, il est en même temps troublé, voire attiré. Et flatté de voir le pouvoir qu’il exerce, à son corps défendant, sur Sébastien, le Français. On est heureux de retrouver Antoine Reinartz (120 battements par minute de Robin Campillo en 2017 et Anatomie d’une chute de Justine Triet, où il campe un extraordinaire avocat de l’accusation) dans ce rôle tout en nuances. Les choses ne sont pas si simples. La prostitution, l’homosexualité, la religion : ces grands sujets sont filmés à hauteur d’hommes, loin des clichés.
Selim se croit aimé, respecté. Ce qu’il vit avec le Français pourrait s’apparenter à une histoire d’amour. De son côté, sa mère rencontre un chauffeur de bus de son âge, très pieux, qui lui avoue sincèrement sa situation : marié à une femme en grande dépression, il recherche une relation épanouissante. Cet homme simple et gentil pourrait l’épouser en secondes noces. Pour la mère comme pour le fils, un espoir de réhabilitation s’éveille. A leurs propres yeux, ils pourraient retrouver un chemin droit, au lieu de cette vie en bâtons de chaise qu’ils ont toujours connue. Jusqu’à ce que tout bascule de nouveau, les renvoyant brutalement à leur solitude.
Avec subtilité, Fyzal Boulifa capte les regards fiers de Zahra, à qui le maquillage agressif sert d’armure, comme la moue infantile et provocante de Selim, qui vit sa première blessure d’amour et d’orgueil. Le titre fait-il référence aux Damnés de la terre de Frantz Fanon (1961), pour évoquer les lois de la domination ? « Si j’avais pu, j’aurais brûlé cette ville » lance Zahra à son fils, en quittant l’un de leurs points de chute. Rejetés, humiliés, les damnés conservent, au fond d’eux, une petite flamme. Pour combien de temps ?
Les damnés ne pleurent pas de Fyzal Boulifa, France/Belgique/Maroc, 2022, 1h50, avec Aïcha Tebbae, Abdellah El Hajjouji, Antoine Reinartz . Sortie le 26 juillet 2023.
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