« L’effacement » : le portrait fataliste d’une jeunesse muette
par Blanche Aloncle17.04.2025
Le dernier long-métrage de Karim Moussaoui, « L’Effacement », adapté du roman de Samir Toumi, dresse le portrait troublant d’un jeune homme bourgeois en perte d’identité. Un récit sur l’impuissance face à un système de domination étouffant qui sort le 7 mai 2025.
Un reflet disparaissant
Reda, interprété avec justesse par Sammy Lechea, vit encore chez ses parents, dans un quartier bourgeois d’Alger. Son père, figure puissante de l’Algérie post-indépendance, le propulse dans la plus grande entreprise d’hydrocarbures du pays, qu’il dirige lui-même. Dès les premières scènes, l’autorité écrasante du père s’impose, pesant sur les épaules des deux frères. Tandis que le frère de Reda choisit de fuir en France pour échapper à cette emprise, Reda, lui, s’enfonce dans un mal-être silencieux.
Progressivement, il s’abandonne à un destin qu’il n’a pas choisi : un emploi imposé, des fiançailles sans amour, puis l’armée. Contraint d’effectuer son service militaire, une agression brutale le met face à la fragilité de ses privilèges passés. Puis, la mort de son père sonne comme un abandon brutal. Reda, toujours docile, n’était préparé rien, sinon à obéir.
Les scènes militaires, baignées de teintes chaudes et ocres, se déroulent dans des paysages désertiques et montagneux. Une scène glaçante, où Reda se venge de son agresseur lors d’une opération meurtrière à la frontière algérienne, marque une bascule irréversible.
Un effacement à double fond
Après la mort du père, Reda s’efface -au sens propre. Son reflet disparaît des miroirs. Cette disparition mystérieuse, subtilement filmée, introduit une dimension fantastique. Le jeune homme en vient à recouvrir chaque miroir, chaque surface réfléchissante. Même le rétroviseur de sa voiture n’échappe pas à cette obsession. Si ce motif psychologique et symbolique donne lieu à des scènes de cinéma sublimes, il aurait mérité d’être davantage exploré, surtout au vu de sa force évocatrice.
Bien que le film aborde des thématiques essentielles, certains choix narratifs laissent un sentiment d’inachèvement. Ce motif du reflet notamment, pourtant porteur d’une belle tension symbolique, reste en arrière-plan. Ce choix volontaire de la part du réalisateur voudrait laisser aux spectateur.ices une marge d’imagination mais manque d’être pleinement assumé.
Le poids des relations intergénérationnelles
Moussaoui met en lumière la violence des rapports de classe d’une Algérie fracturée, explorant les hiérarchies familiales et de genres. Ces carcans familiaux dépeignent par exemple la mère de Reda tout autant effacée derrière le patriarche que Reda, si ce n’est plus. De tout le film, elle ne prononce qu’une phrase, brève mais acide.
A travers Reda, le film interroge avec force la domination et les rapports de pouvoirs qui enferment la nouvelle génération dans un dilemme profond : se soumettre ou partir. La génération du père, façonnée par l’euphorie de l’Indépendance, est sacralisée, tandis que la suivante est sommée de se taire et de suivre. Comme une sorte de mythe de l’homme fort issu de la révolution qui perdure. Le film interroge ce qui peut être espéré dans une société où la mémoire d’un passé glorieux prend toute la place. Reda, jeune homme doux, réservé, se transforme alors peu à peu. De passif, il devient violent. Une brutalité qui lui semble alors la seule échappatoire, sa seule façon d’exister dans un monde où il ne peut ni s’exprimer ni s’émanciper.
Un système patriarcal dénoncé
Plus qu’un drame psychologique, L’Effacement reflète surtout une critique cinglante d’un système patriarcal. Toutefois, si L’Effacement critique les carcans familiaux et les injonctions virilistes, il ne parvient pas à s’en émanciper totalement. Les personnages féminins, par exemple, restent secondaires et peu développés.
Malika, incarnée par l’actrice iranienne Zar Amir, apporte pourtant un espoir sincère de répit dans le récit du jeune homme. Femme indépendante, divorcée, à l’écoute de ses émotions, elle incarne une alternative crédible aux modèles dominants. Le reflet de Reda réapparaît le temps de cette échappée romantique. Mais cette éclaircie est de courte durée. Malika disparait rapidement du récit, et avec elle, l’espoir d’un chemin différent pour Reda. Cette disparition, choix scénaristique soulignant la solitude de Reda révèle cependant une fragilité narrative : celle de dénoncer un système tout en reproduisant certains de ses travers.
Reda, dans un dernier geste de vengeance, tue. La boucle est bouclée, dans une fin aussi glaçante qu’inéluctable. Reda ne peut être qu’un écho pâle d’un modèle masculin fantasmé. Bien qu’un pressentiment dès le début du film qu’une fin heureuse était peu probable, la violence du dénouement laisse un goût amer. Une fin fatale, que les spectateur.ices partagent avec Reda dans un sentiment de frustration : celle de ne pas avoir su dire non, ni partir à temps. Cette fin ultra-violente referme le récit comme une impasse, une clôture sans espoir. Peut-être aurait-on aimé entrevoir une brèche, une possibilité d’émancipation.
Visuel : ©Karim Moussaoui
Sortie le 7 mai 2025.
Fatma Hassona, photojournaliste et héroïne d’un documentaire présenté à Cannes tuée à Gaza
par Blanche Aloncle18.04.2025
« Les Linceuls » : pour Cronenberg, le deuil n’est pas synonyme d’émotion
par Lisa Galstian18.04.2025
