« Le petit blond de la casbah » : tendresse et autobiographie chez Alexandre Arcady

Juifs, musulmans, catholiques, cohabitant joyeusement

Le film s’ouvre sur des images d’Alger la blanche, au son de Lili Boniche. Dans la salle, l’émotion s’installe déjà. Sur un fil, Alexandre Arcady déroule les rubans de la mémoire, par des aller-retour fluides entre le présent – un réalisateur, Antoine Lisner (Patrick Mille) venant présenter son dernier film à Alger – et le passé – le merveilleux de l’enfance. « On était pauvres, mais on ne s’en rendait pas compte », dit Antoine, « on ne manquait de rien ». Entassés à huit dans un minsucule appartement de la casbah, au 7 rue du Lézard, la famille forme une entité. D’un palier à l’autre, la vie, les cris, circulent, se répondent. Et quand la faim guette, la générosité des voisins, juifs, musulmans ou chrétiens, ne fait jamais défaut. La grand-mère berbère (Jean Benguigui, exceptionnel) ne parle d’ailleurs que l’arabe.

Blond aux yeux bleus, Antoine est un peu à part, dans sa famille comme dans Alger, où les gens le remarquent dans la rue, le prennent parfois en photo. Dans sa smala si bruyante, il a souvent envie de s’isoler pour rêver. Tout en étant profondément attaché aux siens. Dinah, sa mère, rayonnante et enveloppante. Sania, son père, si mystérieux : venu de Hongrie, ancien légionnaire, il a connu l’Indochine, l’Afrique, avant de se fixer ici par amour. 30 ans plus âge que Dinah, il souffre d’une jalousie irrépressible qui le conduit à des crises explosives. Pour couronner le tout, Sania est incapable de gagner de l’argent. Il essaie, pourtant, arpentant Alger sur de longues distances, pour démarcher chez l’habitant.

Antoine adulte l’avoue à son propre fils : cette famille bizarre lui a parfois fait honte. Mais c’est bien l’amour et la chaleur humaine qui l’emportent. Le regard de l’adolescent sur son père n’est jamais méprisant, il brille d’un amour inconditionnel. Et, inadapté à la vie civile, Sania possède un cœur immense, prêt à tout pour les siens. Depuis le début, le père sent que la famille ne pourra pas rester en Algérie.

La découverte du cinéma : « C’est mieux que la vie »

Arcady montre un quartier bigarré, chaleureux, où les communautés, tout sauf indifférentes les unes aux autres, se parlent, rient, s’aiment. Mais le film n’est pas une image d’Epinal. Dans ces années 1950, la guerre, la vraie, est là, partout, à chaque coin de rue. Antidote contre la peur, le cinéma exerce sur le jeune Antoine son pouvoir magique. Sur l’écran, Jeux interdits de René Clément (1952) ou Babeth s’en va-t-en guerre de Christian Jaque (1959) montrent aussi la violence, dans sa dimension universelle. Ces séances aident Antoine à s’évader de la réalité, à prendre du champ.

Sa famille sourit de ce rêve trop grand pour un petit garçon de la casbah. Autour de lui, des oncles un peu plus riches (Pascal Elbé et Dany Brillant, excellents respectivement en inventeur et en maquereau), des tantes chéries (Judith El Zein, splendide), et la couvée des quatre frères.

Des nuances et de la vérité humaine

Les attentats, le racisme, les inégalités criantes tenues, jusqu’à lors, pour presque naturelles, ces réalités apparaissent dans des scènes frappantes et justes. Qu’est-ce que la France, dans tout cela ? Un fantasme ? Le pays-mère ? Qui sont les Pieds-noirs pour la France ? Les Arabes pour la France ? Les questions délicates sont posées, avec finesse. On voit certains Juifs, donc Français, rejoindre le FLN (Olivier Sitruk, dans un beau rôle. Et il retrouve Marie Gillain, on se souvient de L’Appât de Bertrand Tavernier, en 1995). Car, oui, les Arabes, c’était chez eux, l’Algérie. Seulement, les Juifs, c’est aussi chez eux. N’étaient-ils pas là depuis le début, bien avant 1830, bien avant le décret Crémieux de 1870 ?

Là où il y a avait de la place pour tous, la folie de la guerre et le basculement politique rendent la poursuite du bonheur impossible. Il faudrait, si les Français restaient, qu’ils acceptent d’être désormais gouvernés, et/ou commandés, par les Arabes. Et ces derniers ne peuvent plus accepter la sujétion injuste qui était la leur. Alexandre Arcady, dans les saynètes colorées, dans les séquences plus sombres, décrit la rupture de cet équilibre qui ne tient plus.

Un film dans lequel le réalisateur a mis toute son âme.