Le Festival international du film insolite, fondé par la comédienne Fanny Bastien, souffle ses onzes bougies. Petit détour par le Limouxin et Rennes-le-Château.
Il y a des intrépides qui passent le début du mois d’août au cœur de l’Aude, département en proie à la sécheresse et aux incendies. Il faut dire qu’iels ont trouvé dans le Limouxin un petit coin de paradis épargné par les flammes : une abbaye du XIIe siècle à Alet-les-Bains, un château du XVIe et une étonnante tour à Rennes-le-Château, la Tour Magdala, qui surplombe le massif des Corbières. C’est donc face à ces montagnes, toutes de schiste et de calcaire, que seront projetés les longs et courts-métrages sélectionnés par la programmatrice du festival.
Car le Festival international du film insolite, c’est avant tout la rencontre entre le cinéma et des lieux pluri-centenaires, auxquels la mémoire locale associe de nombreuses légendes. D’aucun·es affirment même que Marie-Madeleine y aurait séjourné. Aussi les projections s’entremêlent-elles à des conférences sur Nostradamus, originaire de la région, à des visites de la Tour Magdala ou à des conférences sur les minéraux. Des masterclass sur les décors de cinéma et le cinéma d’animation rappellent toutefois que ce rendez-vous insolite est au premier chef consacré au septième art.
Cette nouvelle édition se voulait un hommage au minéral, et ce sous toutes ses formes. Les deux films d’ouverture faisaient ainsi la part belle à la terre et à la glaise, travaillées, dans les deux cas, par des femmes sculptrices – et non des hommes, fait rare à l’écran ! Le premier était un court-métrage documentaire, La Boîte de Pandore (2017), réalisé par la comédienne Claire Nebout, présidente des Jurys Documentaire et Courts-Métrages. Cette dernière y embarque son public dans l’antre étrange de Florence Thomassin, connue pour ses talents de comédienne. L’objet du film était toutefois de mettre en lumière le travail manuel de cette femme qui se dit plus sculptrice qu’actrice. Ses œuvres d’argile explorent la femme, sous toutes ses formes, en un geste salvateur, ayant pour mission d’exorciser les multiples traumatismes subis par la gent féminine depuis des millénaires.
Terre toujours avec L’Homme d’argile, d’Anaïs Tellenne. Ce long-métrage de fiction sorti en 2024 relate la rencontre inattendue entre une châtelaine, jouée par Emmanuelle Devos, et son gardien, incarné par Raphaël Thiéry. La première, performeuse et sculptrice à succès, est rapidement fascinée par le corps insolite de son domestique autant que par son talent de joueur de cornemuse. L’intérêt du film tient en grande partie à sa façon de filmer la terre qui vient recouvrir l’acteur. Il se trouve que Raphaël Thiéry, présent au festival en qualité de membre du jury Courts-métrages, est lui-même cornemuseux. La première soirée s’est donc achevée en musique.
D’autres films ont été projetés hors compétition, comme À bicyclette (2024), de Mathias Mlekuz. Le public y suit l’acteur, accompagné de Philippe Rebbot, sur les traces du dernier voyage de son fils avant que celui-ci ne se donne la mort. Film et périple expiatoires, ce long-métrage mêle avec justesse les rires et les larmes, interroge le public sur la deuil et la mort sans jamais lui imposer de réponse. Les relations entre le voyage et la responsabilité parentale était également au cœur du film de clôture, Ange, de Tony Gatlif (2025), qui voit un ethnologue joué par Arthur H. rencontrer une fille dont il ignorait l’existence.
Quant aux films primés par les différents jurys, ils témoignent, eux aussi, des inquiétudes du temps. Ainsi, pour les courts-métrages, de L’Embryon (Prix du Public), de la jeune réalisatrice Maïra Schmitt, qui évoque à demi-mots les relations incestueuses entre un frère et une sœur ou de L’Enfant à la peau blanche, de Simon Panay (Prix du Jury) sur un enfant albinos contraint de descendre dans une mine obscure après avoir été vendu par son père en raison d’une croyance, qui attribue aux albinos des pouvoirs magiques. Ce film vaut surtout pour le travail de la lumière dans les profondeurs de cet orifice qui sans toujours plus sombre.
L’inquiétude devient un rien burlesque dans le Coup de cœur du jury Geekette en détresse (2025), de Renaud Para, qui joue avec les codes de l’horreur et de la parodie pour nous offrir une tranche de la vie d’une jeune geek, terrifiée à l’idée de perdre des points de jeu. Elle s’incarne dans le froid contre lequel nul·le ne peut lutter dans Detlev (2024), film d’animation du réalisateur allemand Ferdinand Ehrhardt, dont la qualité de l’animation et l’originalité de la proposition lui ont valu le Prix du Film d’animation. Last, but not least, une Mention spéciale du scénario a été attribuée à Inventaire, de Christel Henon (2025).
Côté documentaires, le jury a décerné le Prix du Jury au Sang et la boue (2024) : ce film de Jean-Gabriel Leynaud y montre l’horreur de l’exploitation des minerais dans l’Est du Congo, avec ses conséquences économiques, sociales et militaires (sortie ce 27 août). Il a attribué son Coup de cœur à Memories of an unborn sun de Marcel Mréjen (2024) sur la néo-colonisation. La grande beauté formelle de ses plans n’en rend que plus frappante le terrible quotidien de la population. Le Prix du Public est allé à L’Odyssée des minéraux (2024) de JTM, qui relate, par la voix de Céline Sallette, l’histoire de l’extraction des minéraux et invite à en finir avec leur surexploitation.
Un jury composé d’adolescentes et d’adolescents, chapeauté·es par l’humoriste Smaïn, a attribué le Prix de la Jeunesse à Detlev et une mention Écrémé (2021), de Quentin Nozet avec l’École Kourtrajmé, sur un jeune homme dont la peine de prison est commuée en travail à la ferme, dans une campagne reculée. Un Prix du Scénario est allé à Entendre les échos, de Cédric Martin, dont le projet promet de beaux plans sous-marins à travers l’histoire d’un couple de plongeur·ses. Enfin, un Jury de la musique du film a récompensé, dans la catégorie longs-métrages, L’Homme d’argile, pour sa composition signée Amaury Chabauty, pour les courts, On Weary Wings Go By, de Anu-Laura Tuttelberg (musique de Maarja Nuut) et en documentaires L’Odyssée des minéraux (musique de Marc Siffert).
Petite déception personnelle : voir les magnifiques images du film lituanien On Weary Wings Go By, de Anu-Laura Tuttelberg repartir sans prix. La qualité de son animation, la beauté de ses personnages de porcelaine et son travail de la couleur auraient en effet mérité une décoration. Sans compter que ses flocons de neige auraient pu rafraichir quelque peu la température des lieux. Cette édition du Festival international du film insolite n’en a pas moins brillé par la variété de ses propositions et, une nouvelle fois, par la beauté des espaces.
Visuel principal : On Weary Wings Go By.
Galerie : © Julia Wahl