Le Festival de la fiction: la Rochelle met les héroïnes et l’innovation au cœur de la fiction 2025

Festival de la Fiction de La Rochelle : l’audace des séries et l’énergie d’une filière en mutation

Difficile de pousser la porte du Festival de la Fiction de La Rochelle 2025 sans penser à lui. Stéphane Strano, disparu brutalement cet été, a tenu la barre de l’événement pendant dix ans. Dix années à hisser le rendez-vous rochelais au rang de grand-messe incontournable des séries et téléfilms en France. Sa disparition plane comme une ombre, mais son héritage est bien vivant : 3 000 pros accrédité.es cette année, une foule compacte massée devant le Vieux Port pour applaudir les héros de la petite lucarne, et surtout un festival devenu le miroir de nos imaginaires télévisés dont Sophie Révil, désormais présidente, prend la relève avec élégance et ambition.

L’esprit du festival : une vitrine et un laboratoire

La Rochelle reste unique : c’est le seul festival totalement dédié à la fiction, une vitrine de l’excellence française mais aussi un espace où la filière audiovisuelle se réinvente. La création de LAFA, la fédération des acteurs de la filière, fut l’un des moments forts de 2024. Cette année, nouveautés et débats s’enchaînent : le Forum des métiers de l’audiovisuel, pensé pour sensibiliser lycéens et étudiants aux métiers de l’image, une fenêtre francophone avec la Belgique, la Suisse, le Québec et l’Afrique, temps fort d’échanges entre diffuseurs et producteurs et un grand débat artistique qui pose la question qui obsède tout le secteur : comment séduire les 12-24 ans, ces spectateurs plus enclins à scroller qu’à regarder la télé ? Le planning est ample et on peine à tout voir et tout suivre. Il faut donc faire des choix : ce sera au feeling. Alors j’ai suivi mon instinct. Et ce fut un grand écart réjouissant entre fresques historiques, pop-culture sur-vitaminée et drames intimes.

Les Sentinelles (Canal+) ouvre le bal avec panache. Adaptée de la BD de Xavier Dorison et Enrique Breccia, la série propulse la Grande Guerre dans une uchronie où l’armée fabrique des soldats augmentés. Louis Peres incarne Gabriel, jeune poilu transformé en machine de guerre par un sérum expérimental. Une esthétique rétro-futuriste, un casting solide et une ambition exportable assumée : Canal+ signe une proposition audacieuse et inattendue, chaîne qui jusqu’à présent excellait plutôt dans les séries dites « réalistes ».

Changement de ton avec 2Be3 (Prime Video). Après le raté de Filip diffusé récemment sur TF1, place à une fiction colorée et nostalgique qui retrace l’ascension et la chute du boys band culte des années 90. Daphné Bürki, irrésistible en imprésario, électrise la série. Les fans retrouveront Adel, Frank et Filip dans un récit validé par leurs proches. Kitsch assumé, vibes flashy et fichtrement friendly : la série se regarde comme on se laisse happer par un vieux clip VHS. Sortie le 24 octobre, binge garanti.

Autre temps fort : Merteuil, variation sur Les Liaisons dangereuses où Anamaria Vartolomei et Vincent Lacoste incarnent la jeunesse des célèbres libertins. Présentée par la réalisatrice Jessica Palud passionnée, la série, dans l’ombre de l’adaptation de Stephen Frears, réinvente le mythe et intrigue par son ambition d’un récit en costumes pro-féministe.

Côté drames intimes, Si je veux (France Télévisions) interroge la maternité à travers trois portraits de femmes, mais peine à décoller malgré une belle promesse guyanaise. À l’inverse, Une relation dangereuse, adaptation du roman de Douglas Kennedy, frappe fort. Nadège Loiseau signe une chronique poignante sur la dépression post-partum, servie par Ophélia Kolb et Grégory Fitoussi, bouleversants de justesse.

Dans le registre haletant, Prisonnière (OCS) retient l’attention : Mélanie Bernier, coincée dans une voiture après un carambolage, livre un huis clos suffocant tourné en douze jours. Cet unitaire fait le pari de vous tenir en haleine 1 heure et demi en ne sortant (quasiment) jamais de la carcasse d’une voiture accidentée. Brillant ! Et l’on n’oublie pas Belphégor, revisité par Pathé, HBO Max et M6, avec Shirine Boutella dans la peau d’une restauratrice d’art confrontée au fantôme le plus culte de la télé française. Les deux premiers épisodes séduisent (sans plus) mais on demande à en voir plus, beauté du Louvre oblige.

Des héroïnes en première ligne

De cette 27e édition, un constat s’impose : la fiction française met plus que jamais les femmes au centre. Productrices, scénaristes, réalisatrices gagnent en visibilité. Et les thèmes s’ancrent dans l’intime et le réel : maternité, santé mentale, violences intrafamiliales, féminicide, sororité, sexualités, résilience… La fiction ose, explore, résonne avec son époque.

C’est aussi une édition sous le signe de la transmission. Entre le souvenir de Stéphane Strano et la nouvelle impulsion de Sophie Révil, La Rochelle 2025 marque une étape charnière. Le festival ne se contente plus de montrer des séries : il questionne, fédère, forme et inspire. Au milieu de la foule qui déambule entre projections, débats et cafés sur le port, on comprend pourquoi la fiction française, longtemps complexée, se tient aujourd’hui plus droite face aux géants mondiaux.

Le verdict du jury a consacré une programmation riche et variée, reflet de la vitalité de la création audiovisuelle française. Prix du meilleur unitaire à Un autre père (Arte), tandis que L’affaire Laura Stern (France 2) s’impose dans la catégorie meilleure série dramatique 52 minutes. Du côté de la comédie dramatique, c’est Le diplôme (TF1) qui rafle la mise, et Phoenix (coproduction OCS / France Télévisions) décroche le titre de meilleure série suspense.

Côté interprétation, Clémentine Célarié a été distinguée pour son rôle dans Le diplôme, et Jean Le Peltier pour sa performance dans Un autre père. Le prix de la meilleure réalisation a, lui, été attribué à Bruno Merle pour Extra-lucide.

Cette année encore, c’est un rendez-vous qu’on quitte avec l’envie furieuse… de rallumer cet objet plat et rectangulaire qui squatte un coin de votre salon. Vous savez, ça s’appelle une télévision.