Le festival Augenblick met en avant le cinéma allemand dans plus de 40 salles de l’Est de la France jusqu’au 22 novembre. Avec le cinéma le Star de Strasbourg pour épicentre, cette 20e édition a débuté avec un moment viennois ET contemporain : nous avons notamment pu découvrir trois films et une masterclass de la réalisatrice Ruth Beckermann, la projection du film « Cult » d’Axel Corti, Welcome in Vienna et entendre le concert du chansonnier et acteur, maître du macabre viennois, Voodoo Jürgens.
En parallèle d’une ouverture avec l’avant-première d’une comédie qui se passe en RDA, La Belle Affaire et de la projection de l’inoxydable Ange Bleu (c’est Marlene Dietrich, royale, qui figure sur l’affiche du Festival), pour ses premiers jours, Augenblick nous a invité·e·s à Vienne ! Une Vienne bien loin du concert du Nouvel An et de la Sachertorte. Et même carrément une Vienne revisitée avec la présence de la réalisatrice Ruth Beckermann, de sa co-scénariste pour son dernier film Favoriten, qui a également dirigé le ZOOM Kindersmuseum de Vienne, Elisabeth Menasse et des musiciens : Bobby Would et Voodoo Jürgens.
La journée du jeudi 7 novembre a condensé le tour viennois qu’a pris le festival en cette première semaine d’Augenblick. Au Star, sans quitter la salle dédiée au festival, on a pu voir ou revoir le premier volet de la trilogie d’Axel Corti, Welcome in Vienna. Une oeuvre qui a marqué les années 1980 en revenant sur le sort des réfugiés qui ont dû quitter l’Autriche pendant la Guerre. Puis, le public a pu assister à la projection du film qu’a dédié Ruth Beckermann à la correspondance amoureuse des poètes Paul Celan et Ingeborg Bachmann (une des plus grandes plumes autrichiennes du 20e siècle), Die Getraümte (Rêveurs Rêvés, en français). Nous avons également pu voir la réalisatrice viennoise traverser une partie de sa riche filmographie dans une masterclass de 1h30. Et puis, en final de ce voyage si particulier, nous sommes allé.e.s entendre le concert de Bobby Would et Voodoo Jürgens, qui a réuni toute la hype de Strasbourg autour du dialecte viennois.
Filmée en noir et blanc, de manière à insérer en douceur des images d’archives, relevée par quelques notes du quintette en ut majeur de Schubert, la trilogie du grand homme de radio autrichien Alex Corti, Welcome in Vienna a été une petite révolution dans l’Autriche de Kurt Waldheim, en ouvrant la plaie mal refermée du passé nazi des Autrichiens. Le film suit avec réalisme, et néanmoins poésie, le périple douloureux de réfugiés « ordinaires » quittant Vienne après l’Anschluss. Il montre comment celles-ci et ceux-ci traversent l’Europe en quête d’un abri, mendiant mille visas et laissez-passer pour recommencer leur vie sur le Nouveau Continent. Ce premier volet a été projeté ce 7 novembre. Et les deux autres parties, qui nous font passer par les États-Unis pour revenir avec le héros sous l’uniforme américain dans sa Vienne natale seront projetés lundi et mercredi prochains, toujours au Star de Strasbourg (informations ici et ici).
Elle a parcouru l’Alsace avec Augenblick cette semaine pour présenter trois de ses films : Favoriten, die Gtraümte et Wien Retour. Née à Vienne dans une famille juive, après la Guerre, Ruth Beckermann y réside toujours. Depuis 1977 et une petite vingtaine de films, elle ne cesse d’interroger les histoires que l’on nous raconte et que nous nous racontons, avec une rigueur visuelle implacable. À les regarder avec elles, certains clichés aussi ancrés que Sissi, le Prater ou les cafés de Vienne, mais aussi les fantasmes d’une œuvre érotique majeure de langue allemande, comme les mémoires de Josefine Mutzenbacher, semblent se métamorphoser dans une autre lumière pour nous poser des questions.
Issue de la deuxième génération après la Shoah, Ruth Beckermann a interrogé l’identité juive européenne à travers une trilogie qui commence avec Retour à Vienne, passe par Le pont de papier pour aller jusqu’aux confins de la Bucovine et interroge la réalité du rêve sioniste dans Vers Jérusalem. Que garde-t-on du passé, que laissons-nous de côté ? À regarder les films choisis par Augenblick, certaines choses sont intemporelles comme la ferveur amoureuse de ces rêveurs rêvés que vous venez de voir. Et certaines choses semblent étrangement se répéter comme la montée du fascisme dont témoigne Franz West dans Retour à Vienne, film qui a participé à donner à la capitale de l’Autriche son passé « rouge » avec des archives inédites. De l’amnésie à la violente réminiscence de l’Autriche sur la participation des Autrichiens aux crimes nazis, Ruth Beckermann interroge cette évolution du côté des bourreaux dans À l’Est de la guerre, et à travers les mois de scandale de la découverte du poste à responsabilité de Kurt Waldheim pendant la Guerre, lors de la déportation des juifs de Salonique. Le film que Ruth Beckermann a dédié à ce moment clé de la mémoire autrichienne, La valse de Waldheim a reçu plusieurs prix et a représenté l’Autriche aux Oscars.
Sur le film Le pont de papier, Hélène Cixous a écrit : « Qui sera ‘le témoin du témoin ?« Alors vient la voix de Ruth Beckermann, vient la voix qui écoute, qui regarde, et qui enregistre. Avec magnétophone et caméra invisible. Non ce n’est pas un documentaire, c’est une œuvre vive, qui pousse l’art filmique au-delà de ses mitoyennetés avec la poésie, le récit, l’introspection, en mettant les ressources les plus subtiles de la métaphore et de la métonymie au service du désir de sauvegarder. Garder quoi ? Les signes, les traits, l’esprit sublimé des vies d’un certain monde, d’une certaine culture, très précis, et en même temps synonyme du genre humain. » La masterclass de la cinéaste nous a permis de comprendre comment, tout en innovant à chaque film sur le dispositif mis en place, Ruth Beckermann marque notre temps comme «Voix qui écoute, qui regarde, et qui enregistre».
En sortant d’un après-midi entier de cinéma autrichien au Star Saint-Exupéry les festivalier·ères ont regagné l’un des coins branchés de Strasbourg pour suivre le concert (en entrée libre) tout aussi viennois qui avait lieu à la Graffiteria.
Dans le cadre assez nu et très convivial de ce bar à la scène très ouverte, deux anciens colocataires viennois aux guitares et aux univers musicaux très différents se sont succédés.
Implantant son univers planant avec un VJing à la fois fluo et zen, Bobby Would fait l’électro douce et propose mille variations sur un motif mélancolique et prenant. Un concert intime et chaleureux où l’excellent musicien semble toujours rester caché derrière une timidité qui n’en oublie pas moins d’être généreuse. Le temps de débrancher sa guitare pour plugger le fil à ressort de celle, beaucoup plus bariolée, de Voodoo Jürgens, et sans comprendre un mot des textes complexes et très noirs du musicien, nous avons vécu un moment de pure joie. Avec son mullet, sa moustache et ses chaussures vintage, par le biais d’un parlé-chanté à la fois hyper minimaliste et incroyablement souriant, Voodoo Jürgens réinvente la tradition du cabaret viennois. Il est beaucoup question de mort, de tombes et de vers, dans son univers tout en contrastes et en ironie. Tout un monde que les festivalier·ère·s retrouvent dans un des films de la compétition, à ne pas rater dans les prochains jours, et dont Vooddo Jurgens est le héros et signe la musique, Rickerl.
Le Festival Augenblick se poursuit jusqu’au 22 novembre, avec de nombreuses avant-premières, parmi ses invités : Didier Eribon et Ingrid Caven, ainsi que des séances dans toute la région.
visuel : Voodoo Jurgens et Bobby Would avec la directrice du festival Sadia Robein (c) YH