Nurith Aviv continue son exploration de notre rapport à la langue, à travers l’évocation de la lettre « R » et de ses multiples prononciations.
Omniprésente dans les langues européennes et pourtant sujette à une infinité de variations, la lettre « R » serait l’une des lettres les plus discriminantes. « R » grasseyé, « R » roulé ou « R » à peine articulé en anglais comme en créole, les difficultés à la prononcer marquent comme un intrus son locuteur maladroit. Elle est ainsi, chez les personnes migrantes ou aux cultures multiples, la marque d’un stigmate, mais aussi d’une charge émotive particulière, celle de son apprentissage souvent laborieux.
Pour son exploration ludique et subjective, Nurith Aviv a fait appel à des écrivain.es et traducteur.rices de différentes origines, particulièrement sensibles aux variations de cette étrange consonne, qui se dérobe à toute velléité de la figer. La Norvège est ainsi représentée par Karl Ove Knausgaard, connu pour ses romans autobiographiques. Il nous livre ainsi la multiplicité des prononciations du « R » dans un norvégien divisé en de nombreux dialectes. Luba Jurgenson, Misako Nemoto et Orly Noy font quant à elles état, à travers des exemples personnels, de la nécessité de modifier sa prononciation de cette lettre difficile quand on change de langue. D’autres auteur.es et traducteur.rices notent la résistance anticoloniale que symboliserait le refus de policer un « R » arabe en un « R » francisé (Amel Chaouati) ou la force poétique d’un travail théâtral mettant en jeu la diversité de ce « R » au sein de la seule francophonie (Guy Régis Jr).
L’intérêt du travail de Nurith Aviv est de proposer une étude fermement intime et subjective de cette lettre, qui donne la parole aux écrivain.es, traducteur.rices et aux artistes plutôt qu’aux linguistes. De ce fait, certaines analyses sont bien entendu sujettes à caution, et c’est tant mieux : l’objet de La Lettre errante est moins de produire un discours scientifique que de faire acte de réflexion poétique. Pour ce faire, la documentariste met en scène, par un important travail d’images et de sons, les synesthésies présentes en chacun.e de nous : la mention de couleurs représentée par des fleurs et des arbustes, accompagne chaque évocation et le film s’ouvre sur une interprétation dada de la lettre « R » à travers la Ursonate de Kurt Schwitters. L’articulation des interviews et de ces préoccupations esthétiques fait de La Lettre errante une très belle exploration de cette lettre à la prononciation mouvante.
La Lettre errante, de Nurith Aviv, au cinéma le 6 mars.
Visuel : Nurith Aviv