«La Clepsydre» de Wojciech J. Has, grand film cult et malade
par Olivia Leboyer11.01.2025
Célèbre pour son adaptation du Manuscrit trouvé à Saragosse (1965), le maître du cinéma baroque polonais W. J. Has, adapte dans La Clepsydre (1973) deux oeuvres de Bruno Schulz. Un film restauré à découvrir sur grand écran depuis le 8 janvier 2025.
Une matière débordante
Attention, film Cult ! Adaptation libre de deux romans de Bruno Schulz (Les boutiques de cannelle et Le sanatorium au croque-mort, 1937), La Clepsydre est un grand film malade. Dans les courts romans de Schulz, le personnage se perd dans les dédales de sa mémoire ou de son imagination, impossibles à distinguer. Tout se dédouble, les événements comme les êtres chers ou les rencontres de hasard, au détour d’un couloir de sanatorium ou d’hospice. Un fils, Joseph (Jan Nowicki, à la présence frappante), rend visite à son père dans une sorte de maison de retraite sombre et mal famée. Là, il apprend sa mort, ou plutôt sa presque mort, le temps étant arrêté, détraqué. Arrive-t-il juste avant ou juste après la mort du père ? Et que peut bien signifier pour lui cette disparition ? Où est-il passé, d’ailleurs ?
Le rire des oiseaux
Le père vit dans cet espace étrange, hante son cerveau malade de sa présence-absence primesautière. Car le disparu s’amuse des angoisses de son fils, l’exhorte à la légèreté et au rire. Le père se prend pour un oiseau, caquette et se cache d’une vaste pièce à une autre. Comme dans tous les cauchemars, des recoins, des pièces secrètes, des portes et des coffres révèlent ou dissimulent les peurs latentes. Joseph s’effraie ou s’émerveille, tourne en rond, tombant bien souvent sur une femme nue affriolante qui lui offre ses seins nus. Visqueuse, verdâtre, l’image distord les scènes, qui prennent une dimension fantastique. Joseph poursuit sa quête du père, entre deux éclats de rire.
Des visions de cinéma
Lire Bruno Schulz constitue une expérience dérangeante. Pour une fois, une adaptation cinématographique apporte quelque chose de supplémentaire : de vraies visions de cinéma, qui imprègnent la rétine. Sans lien logique, laides et sublimes, les images possèdent leur pouvoir propre. Des cinéastes puissants et fous comme David Lynch, Luis Bunuel ou, plus récemment, le très intéressant Bertrand Mandico (Hormona en 2015, Les garçons sauvages en 2017, After Blue (Paradis sale) en 2021), ont un faible pour La Clepsydre, qui a touché quelque chose d’intime en eux.
Prenez le train entouré d’oiseaux noirs avec Joseph et perdez-vous dans ces labyrinthes encombrés de peurs, désirs, projections singuliers et assez universels.
La Clepsydre de Wojciech Has, 1973, Pologne, 124 minutes, adapté librement de Bruno Schulz, avec Jan Nowicki, Tadeusz Kondrat, Irena Orska, Halina Kowalska, Gustaw Holoubek, version restaurée 4K Malavida, sortie le 8 janvier 2025.
visuel (c) Malavida
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