Le grand jury, composé de Vanessa Springora, Youna De Peretti, Amélie Galli, Yann Gonzalez et Zac Farley a primé, parmi les six films de la compétition de cette 46e édition du Festival International des Films de femmes de Créteil, une plongée sombre et cruelle dans la fuite en avant d’un homme victime de viol dans son enfance. Sculptant le malaise, Kalak, d’Isabella Eklöf met en scène la reproduction de la domination masculine.
C’était la première française de Kalak, film qui a remporté le prix spécial du jury au Festival de San Sebastian. Isabella Eklöf n’était pas une complète inconnue. Certain.e.s avaient déjà vu Holiday (2018) ou le film dont elle a écrit le scénario, Border (réalisé par Ali Abbasi), qui a remporté le prix « Un certain regard » au Festival de Cannes en 2018. Border proposait déjà ce malaise presque nauséeux que Kalak transforme en questionnement très aigu sur la reproduction de la violence et la domination. Jan, père de famille et infirmier, est en fuite constante après avoir été abusé sexuellement par son père lorsqu’il était adolescent. Travaillant à Nuuk, au Groenland, il tente de se rattacher à la culture par le sexe.
Kalak commence par une scène insupportable d’abus sexuel, et l’acteur adulte qui joue l’enfant violé par son père. On le retrouve homme. Infirmier, marié, père de deux enfants, incapable de parler de ce qu’il s’est passé et fuyant vers le Groenland avec sa famille pour essayer de se trouver. « Kalak », c’est ce que le héros aimerait bien être : véritable groenlandais. Mais véritable, il ne l’est pas, et « Kalak » veut aussi dire « sale ». Attiré par les femmes groenlandaises et blessant sa femme, il essaie d’oublier ce qu’il ne peut ni ne veut raconter. A part la danse autochtone et ses masques, et malgré l’exutoire qu’est supposé représenter le sexe, il y a très peu de corps, dans ce film. La drogue arrive, qui donne le sens du rythme lancinant du film et la noyade arrive par saccades et grands malheurs.
Joli pari que celui de primer un portrait d’homme à un festival de films de femmes. D’autant plus que le personnage est à la fois victime, jamais aimable et surtout pas excusable. Jamais prévisible, Kalak sculpte le malaise des spectateurs avec une précision vertigineuse et nous a fait vivre un cycle de violences terribles et observer dans ce cycle la reproduction de la domination masculine. Une réalisatrice à suivre signe un film fort, qui attend son distributeur en France.
Kalak, d’ Isabella Eklöf, avec Emil Johnsen, Asta Kamma August, Søren Hellerup, Berda Larsen, Connie Kristoffersen, Hans-Jukku Noahsen, 125 minutes, Danemark, Suède, Norvège, Pays-Bas, Finlande, 2023.