Vingt-cinq ans après sa sortie, Sunshine d’István Szabó revient sur les écrans à l’occasion d’un festival. Le réalisateur hongrois, oscarisé pour Mephisto, y explore la mémoire juive, les régimes politiques d’Europe centrale et le rêve d’assimilation. Rencontre avec un homme pudique, pour qui le cinéma reste un moyen d’allumer une lumière dans l’obscurité.
Izstvan Szabó : C’est difficile à dire. J’ai fait ce film il y a 25 ans. Je me souviens comment on l’a tourné, je me souviens de ce que j’ai ressenti. Je ne crois pas que mon sentiment ait changé. Le monde a changé, oui, mais ce n’est pas moi qui l’ai choisi.
Izstvan Szabó : Ce n’était pas ma décision, c’est celle du festival. Mon producteur m’a dit que Sunshine avait été invité. On a fait plusieurs films ensemble avec Robert Lantos, un ami aujourd’hui. J’ai été heureux d’apprendre que c’était Sunshine, mais ne dites pas que c’est moi qui ai décidé. On m’a invité, et je suis venu avec plaisir.
Izstvan Szabó : Un film reste un film. Quand je revois mes films des années plus tard, je pense toujours que je voudrais les couper, les raccourcir, faire complexe. C’est comme ça pour tous mes films. Je crois que beaucoup de réalisateurs ressentent la même chose. Comme les écrivains qui veulent ressortir leur crayon rouge des années plus tard. Je pense que vous, les journalistes, avez parfois la même sensation.
Izstvan Szabó : J’y peux rien. Je fais des films à partir de mon expérience. Je suis né en 1938, donc j’ai connu plusieurs régimes. J’ai vu tout ça comme enfant, étudiant, adulte, réalisateur. Et je mets tout ça dans mes films, bien sûr en restant historiquement juste. Si ce que j’ai vu il y a 30 ou 40 ans résonne encore aujourd’hui, c’est que c’est la vie.
Izstvan Szabó: Un peu, oui. Mais je me demande : quelle a été la surprise de mes grands-parents ? De mes parents ? Leur choc face aux nazis était sans doute plus fort. C’est l’Europe. Moi, je montre ce que signifie vivre en Europe centrale. J’ai grandi à Budapest, donc mes exemples viennent de là. Que faire ? C’est notre réalité.
Izstvan Szabó: Jusqu’au début du XIXe siècle, les juifs n’avaient pas le droit de circuler librement, ni d’acheter de propriétés ou d’ouvrir des usines. Après la révolution de 1848, puis sous François-Joseph, les droits se sont élargis : droit d’enseigner, d’étudier à l’université… Et cela a rendu l’assimilation possible. Je ne sais pas si les historiens seraient d’accord avec moi, mais je pense que l’émancipation et l’assimilation sont venues ensemble. C’était un rêve.
Izstvan Szabó: Je ne pense pas que tout le monde oserait dire oui. Mais au fond du cœur, je crois que l’assimilation reste un rêve.
Izstvan Szabó: Ça dépend du pays.
Izstvan Szabó: Je sais. Un ami m’a parlé de ce qui se passe dans les universités. Il y a des mouvements antisémites, des manifestations. C’est dur. Mais je ne pense pas que ce soit une question religieuse. C’est devenu une question liée à Israël. Enfin… je ne suis pas sûr.
Izstvan Szabó : Peut-être. Mais en Europe, beaucoup parlent de culture judéo-chrétienne. Ceux qui prennent au sérieux l’Ancien et le Nouveau Testament parlent ainsi. C’est complexe. Ce n’est pas simple de savoir qui est accepté et pourquoi.
Izstvan Szabó: Regardez mes films.
Izstvan Szabó: Ma réponse peut sembler idiote. Je viens d’une famille de médecins, depuis le début du XIXe siècle. Après le bac, je voulais faire médecine. Mais j’aimais le théâtre et le cinéma. J’ai tenté une école de cinéma, j’ai été accepté. J’ai suivi cette voie. Mais j’ai une nostalgie de ce que mon père, mon grand-père racontaient. Je crois que je fais des films pour dire aux gens qu’ils ne sont pas seuls avec leurs problèmes. Ça aide un peu à vivre. C’est comme un médicament… enfin, c’est peut-être trop dire. Mais c’est mon ressenti. Tous mes films laissent une petite lumière à la fin, une étincelle : « Tu n’es pas seul. » C’est mon travail. Je suis fier de ça.
Je me rappelle le téléphone qui sonnait chez ma grand-mère. Quelqu’un l’appelait parce que sa femme était malade. Ma grand-mère demandait : « Vous avez des arbres dans le jardin ? » — « Oui. » — « Il a plu hier ? » — « Oui. » — « Elle a mangé quelque chose dans le jardin ? » — « Je crois. » Elle disait alors à mon grand-père : « Elle va passer des heures aux toilettes, ça va aller. » Mais lui, prenait sa mallette : « Elle souffre. Je dois y aller. » Voilà l’ambiance dans laquelle j’ai grandi.
Izstvan Szabó : Ne me posez pas la question. J’ai pleuré. Ma famille aussi. Ce n’était pas une question. C’était la réalité.
Visuel : Affiche de Sunshine ©Metropolitan FilmExport