[Interview] Antoine Le Bos, Directeur Artistique du Groupe Ouest : « Il faut concevoir avant d’écrire »

Antoine Le Bos, bonjour. Les Fantômes, qui évoque les immigrés Syriens de la guerre commencée en 2011, a vu son scénario se développer au sein du Groupe Ouest. Dans un cas comme celui-ci, comment imaginaire et faits réels se sont-ils harmonisés ?

Antoine Le Bos : Jonathan Millet vient du documentaire. Il devait donc faire le saut vers une fiction, nourrie de réel. Bon, je n’étais pas le consultant en scénario qui l’accouchait, en l’occurrence. Le processus a eu lieu, comme d’habitude, sur trois semaines non enchaînées les unes aux autres, avec un accoucheur principal et, chaque semaine, un consultant différent venant en plus. Je sais qu’au final, sur ce projet-ci, tout le groupe a travaillé de manière très solidaire : ils se sont énormément lus les uns les autres. Et je sais que ce qui a  vraiment permis à Jonathan Millet de plonger, dans son scénario, vers la fiction, est le travail énorme de sculpture des rapports entre le protagoniste et l’antagoniste, tortionnaire présumé. Au final, il s’agit bel et bien d’un film de fiction sur l’abus psychique, qui parle à toutes les victimes d’abus.

Le travail que nous faisons est ainsi de trouver le biais par lequel la singularité de quelqu’un qui a un point de vue peut entrer dans la peau d’un spectateur pas forcément habitué à ce cinéma d’auteur. Car parfois, les scénaristes sont dans des logiques qu’ils ont du mal à ouvrir vers autrui, et ont donc du mal à faire en sorte que leur système fabrique des émotions.

Jonathan Millet, le réalisateur des Fantômes, évoque son expérience au Groupe Ouest, parlant de sessions très intenses. Y a-t-il des sessions / des processus de création plus calmes que d’autres, au Groupe Ouest ?

Antoine Le Bos : Notre travail est de fabriquer de l’intensité. Nous cherchons à générer de l’intensité dans les échanges. D’ailleurs les scénaristes jeunes viennent chez nous parce qu’ils savent que cela va générer pour eux une propulsion des idées, une forme de foisonnement. Notre but restant de permettre à chacun d’ouvrir son projet au maximum, nous créons les conditions d’un tournoiement des possibilités et des thématiques narratives.

Ce qui est fou, d’ailleurs, c’est que ces échanges sur des scénarios qui doivent avancer amènent ensuite certains des participants à former des tribus, à continuer à s’entraider.

Claude Barras, le réalisateur de Sauvages, parle à propos des sessions du Groupe Ouest de « plongée dans un film », avant qu’il existe bien sûr. Quel est le pourcentage moyen entre guillemets de ce qui est « gardé » au final dans un film, venant de ces sessions ?

Antoine Le Bos : C’est dur à dire. Là où on a été très étonnés, en voyant le film à Cannes, au moment où il a été projeté en Ouverture de la Semaine de la Critique, c’est que la mécanique d’accélération des possibilités est totalement présente en son sein.

Scénariste, cela reste un métier où le but premier est d’ouvrir les possibles et de les tester. D’ailleurs, de notre côté au Groupe Ouest, nous faisons aussi un travail de fond pour renouveler nos méthodes. Depuis au moins cinq ans, nous ne recevons jamais moins de deux cents auteurs par an, venant de France comme d’une dizaine de pays d’Europe. Donc on a désormais intégré des séances de pré-écriture, au sein desquelles on réfléchit autrement qu’avec des mots, car quand on démarre avec l’écrit, les possibilités sont réduites. On fait passer tout ça par le corps, les rêveries, dans un premier temps : il faut concevoir avant d’écrire, sinon on se limite.  On a aussi par exemple eu l’idée du Story Tank, le premier think tank d’Europe qui fait s’allier scénaristes et chercheurs en sciences.

Vous êtes le directeur artistique du Groupe Ouest, mais vous impliquez-vous aussi lors des sessions de travail avec les scénaristes ?

Antoine Le Bos : Oui bien entendu. Je suis consultant en scénario depuis un long moment, j’ai travaillé dans plein de structures liées à cette activité en Europe et au-delà. Tel le Torino Film Lab, complémentaire vis-à-vis du Festival du Film de Turin.

Avec le Groupe Ouest, moi et celles et ceux avec qui je travaille nous avons tenté de créer, au final, une sorte de paradis pour les auteurs scénaristes. Mais un paradis où on ne les laisse pas en paix !

Justement, comment se passe concrètement une session de travail ? et se passent-elles toutes différemment ?

Antoine Le Bos : Un scénariste qui vient au Groupe vient se faire accélérer. Il nous visite donc sur trois semaines, pas enchaînées les unes avec les autres. Au cours de la première semaine, par exemple, on commence donc à travailler avec huit auteurs scénaristes, et donc sur huit projets. D’abord en grand groupe, tous ensemble : de grandes discussions ont alors lieu. Puis en nous divisant en petits groupes. Quand on passe dans cette configuration-ci, cela permet une logique de writing room, et des choses difficiles à dire, pour l’auteur scénariste, peuvent être dites. Puis en grand groupe, on teste les modifications obtenues dans les petits.

Quels sont les enjeux du Groupe Ouest au Festival de Cannes ?

Antoine Le Bos : On vient voir les films dont on est fiers d’avoir défendu les couleurs. Et on fait le point sur une semaine avec tous nos partenaires européens. Qui viennent nous demander de faire accélérer leurs cerveaux. Tous les enjeux restant différents en fonction des pays bien sûr.

Quelle est l’économie du Groupe Ouest, au jour d’aujourd’hui ?

Antoine Le Bos : Nous sommes financés à plus de soixante pour cent par des sources européennes, venant de l’Europe elle-même et d’une dizaine de pays, donc. Puis viennent ensuite des partenaires privés, des mécènes, la région Bretagne, le département du Finistère, et le CNC.

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Visuel : © Brigitte Bouillot, Architecte Alexandre Favé