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« Fragments d’un parcours amoureux » de Chloé Barreau, ou le récit d’un badinage

par Nicolas Villodre
le 28.08.2023

Le film de Chloé Barreau, Fragments d’un parcours amoureux, titre démarqué du fameux essai de Roland Barthes, est présenté le 2 septembre 2023 à la Mostra de Venise. Ce portrait de l’artiste par elle-même – et par ses flirts d’un temps passé, jeunes gens et jeunes filles confondus – est en lice pour le Queer Lion – l’équivalent du Teddy berlinois.

Jeunesse dorée

 

Alternant vidéos analogiques datant des années 90, cadrées en 4/3, de basse définition, prises systématiquement, d’après les témoins – à la manière warholienne –, et ce depuis l’âge de seize ans, nous est-il précisé, et entretiens de fraîche date captés en numérique 16/9e, Chloé Barreau réalise un autoportrait pointilliste où elle se donne le beau rôle sans pour autant s’épargner. Ce film subjectif est aussi la peinture d’un cercle d’ami(e)s et de petit(e)s ami(e)s, de condisciples en « prépa » dans les meilleurs lycées ceinturant la Sorbonne. Celui d’une certaine insouciance estudiantine de la génération Chirac.

 

Au bout d’un temps, Erasmus aidant, le terrain de jeux érotiques de la jeune femme s’élargit à l’Italie – et, quoiqu’elle n’apparaisse pas à l’écran, à la Catalogne. Les souvenirs de ces « ex » constituent la matière première de l’opus, enrichis de photos d’époque – assez souvent en noir et blanc – mais aussi, naturellement – les littérateurs et artistes en herbe étant représentés en nombre – de courriers écrits, quelquefois surécrits, manuellement, de diverses graphies et couleurs d’encre qui confirment les dires en enrichissant l’image. Est cité (et récité) un passage de la Recherche de Proust où il est subtilement question des intermittences du cœur. Est rappelée la lecture intégrale par l’une et l’autre des amoureuses du roman romantique de Victor Hugo, L’Homme qui rit.

 

Effet de morphing

 

On découvre au présent et on reconnaît tant bien que mal les protagonistes du film, un panel somme toute limité au minimum, composé (par ordre d’apparition) de Sébastien (Ryckelynck), Jeanne (Rosa), Laurent Charles-Nicolas), Anne (Berest), Rebecca (Zlotowski), Ariane (Deboise), Jean-Philippe (Raîche), Anna (Mouglalis), Bianca (Di Cesare), Marina (Jankovic), Marco (Giuliani) et Caroline (Vieira-Lima). Tous ont été proches, conquis puis quittés par Chloé Barreau, les uns après les autres. Il est fait référence à un moment donné au film de Soderbergh, Sexe, mensonges et vidéo dont le titre, d’une certaine manière, annonce ou résume le projet de celui-ci.

 

Outre la confrontation des points de vue qui, finalement, se rejoignent en confirmant la trahison prédatrice propre au marivaudage ou au donjuanisme féminin de la protagoniste, le spectateur assiste à la fabrication du personnage, image par image : à la transformation d’une adolescente de prime abord insignifiante (cf. les plans du prégénrique où elle est tout en cheveux) en enjôleuse de haute volée, une fois relookée façon Jean Seberg ou, avant elle, Zizi Jeanmaire – qui fut recoiffée en 1949 par Antoine pour les besoins du rôle de Carmen. Peu à peu, comme le montrent les scènes du bon vieux temps, la nymphe devient elfe comme par enchantement. Par l’enchaînement des plans sur une trentaine d’années et un effet de morphing sur le spectateur.

 

 

Visuel : capture d’écran du film.