Le Festival international du film de Saint-Jean-de-Luz a livré mardi 3 octobre l’une des premières pépites de cette édition 2023.
Pour son premier long métrage, Nehir Tuna livre une œuvre originale et complexe. Un travail entamé par un court métrage, Shoes, en 2020, qu’il a développé par une réflexion institutionnelle, culturelle et sociétale de la Turquie de son enfance. Ajoutez-y ses propres repères ainsi que ses influences cinématographiques américaines et françaises (Truffaut, Godard, entre autres…). Vous obtiendrez ce film très personnel et touchant.
L’action se déroule en Turquie, en 1996. Ahmet, 14 ans, est dévasté lorsque sa famille l’envoie dans un pensionnat religieux (Yurt). Pour son père récemment converti, c’est un chemin vers la pureté. Pour lui, c’est un cauchemar. Le jour, il fréquente une école privée laïque et nationaliste ; le soir, il retrouve son dortoir surpeuplé, les longues heures d’études coraniques et les brimades. Mais grâce à son amitié avec un autre pensionnaire, Ahmet défie les règles strictes de ce système, qui ne vise qu’à embrigader la jeunesse.
Pris en étau entre chants coraniques et musique classique, le jeune Ahmet évolue dans une sorte de schizophrénie organisée. Il y a la rédemption du père dont il est le projet, mais il y a aussi l’affection de la mère plus permissive ; il ne veut décevoir aucun. Tandis qu’il s’accroche à son enfance, il prend courageusement sur lui et zigzague entre les manifestations brutales qui opposent les extrémistes laïques et radicaux religieux. Durant tout le film, l’adolescence déroule son apprentissage. Ahmet prend conscience des symboles économiques, religieux et sociaux. Il prend conscience aussi que son appartenance bourgeoise peut être un fardeau, et qu’il doit faire des choix qui ne sont pas forcément en accord avec sa sensibilité.
Résolument esthétique, le film démarre par un sublime noir et blanc qui colle bien avec l’immersion presque documentaire dans une école coranique, et les idéologies radicalement bipolaires de la société turque à cette période. Ensuite, la couleur déboule d’un coup avec la libération et l’accès à liberté, en musique comme dans un film de souvenirs de vacances. Enfin subtilement, l’image évolue sur une couleur sépia qui délivre toute la nuance des messages que porte cette réalisation.
Avec ce film très stylé, le réalisateur turc offre toute la maturation d’une réflexion sur le parcours initiatique de l’adolescence, et l’enjeu idéologique que représente les enfants.
Réalisateur : Nehir Tuna
Acteurs : Doğa Karakaş, Can Bartu Aslan, Ozan Çelik, Tansu Biçer…
Sortie prévue en 2024