A quoi reconnaît-on la réussite d’un festival ? A Deauville, le cinquantième anniversaire du film américain, du 6 au 15 septembre, a bien sûr brillé par les stars sur les fameuses planches et le tapis rouge : des grands anciens comme Francis Coppola et Michael Douglas (auréolé du Lifetime Achievement Award), des vedettes confirmés (Natalie Portman et Michelle Williams qui ont eu chacune un Talent Award, Sebastian Stan titulaire du Prix Nouvel Hollywood) et des espoirs qui ont déjà un bel envol (Daisy Ridley venue recevoir son Raising Star Award)
Les chanceux qui ont pu assister à la conversation avec James Gray ont pu, par ailleurs, mesurer les liens entre certains artistes et le rendez-vous normand qui les a parfois révélés.
Un anniversaire ne se fête pas non plus sans belles surprises, comme la venue d’anciens présidents du jury (Sandrine Kiberlain, Guillaume Canet, Costa-Gavras, Claude Lelouch… une quinzaine au total), la présentation de la Palme d’or du dernier festival de Cannes (« «Anora »), dont la vedette Mikey Madison est elle aussi repartie avec un Raising Star Award et d’autres avant-premières pleines d’émotions, à l’instar de la projection de « La plus précieuse des marchandises » de Michel Hazanavicus, un choc auréolé de plusieurs minutes d’applaudissements devant son réalisateur très ému.
Rétrospective de titres cultes (« Easy Rider », « West Side Story », « Rio Bravo »), exposition photos, hommage au grand documentariste Frederic Wiseman, prix littéraire Lucien Barrière remis à Nathan Hill pour « Bien-être » et prix de la nouvelle génération à Malia Ann ont complété ces dix jours intenses comme les vagues et les nuages de cette côte mythique.
Mais un festival, pour qu’il marque les cinéphiles, doit avant tout avoir une solide proposition artistique. L’enjeu du cinquantenaire étant de ne pas décevoir un public fidèle (voir des salles pleines rassure toujours sur l’appétence pour le septième art) se pressant dès les séances de 10 h. Au total, le jury présidé par Benoît Magimel (celui de la révélation étant porté par Alice Belaïdi) avait fort à faire pour départager les 14 longs métrages en lice.
Une palette artistique plus axée sur le drame ou la tension mais sans aucune uniformité. Mettant en avant la diversité du cinéma indépendant d’outre-Atlantique par ses castings, ses lieux de tournage et ses thèmes. Certes, il y a parfois des maladresses comme le fantastique mal dosé de « Gazer » (Ryan J.Sloan), la fin abrupte de « The Knife » (Nnamdi Asomugha) mais dont la force a convaincu (prix du jury) ou l’absence de choix entre suivre le réveillon des adultes ou celui des adolescents dans « Noël à Miller’s Point » (Tyler Taormina). Une fois la lumière rallumée, pas de déception pour autant car le spectateur était embarqué dans une histoire sincère, bien interprétée et originale dans sa démarche.
Il faut d’ailleurs ne pas trop se fier au résumé qui pourrait effrayer. A priori, un épisode de la guerre de Sécession dans le froid ne devrait guère susciter d’enthousiasme. Et pourtant, « Les damnés » de Roberto Minervini est une superbe découverte, loin du simple western. On est davantage dans la tragédie et une attente qui finit par la catastrophe dans une nature devenue hostile. Le réalisateur n’a pas peur des silences, prend son temps pour capter les paysages, en alternant avec la tension des combats à distance. Même appréhension avec « Daddio » qui se définit comme le dialogue dans un taxi à New York entre une cliente et son chauffeur (l’immense Sean Penn, toujours impeccable). Cette déclaration d’amour à une ville, sous la direction de Christy Hall, est aussi un portrait de femme sans fard, se découvrant au fur et à mesure qu’elle discute avec ce parfait inconnu. Dommage qu’il ne figure pas au palmarès.
Contrairement à deux autres points d’orgue : « La cocina » d’Alonzo Ruizpalacios (prix Barrière) et « Color Book » de David Fortune (prix de la critique), misant tous deux sur le noir et blanc. C’est le seul point commun car entre les scènes de tension en cuisine (dommage que la fin soit grandiloquente) et le parcours chaotique d’un père et son fils trisomique pour aller voir un match, c’est toute cette diversité du cinéma américain qui s’affichait sur grand écran. Mais ces montagnes russes du cœur ont atteint un niveau qui n’a pas échappé aux jurés. Il était évident que « In the summers » d’Alessandra Lacorazza Samudio ne repartirait pas les mains vides. C’est le Grand Prix tellement mérité avec ce portrait de deux filles rendant visite chaque été à leur père. En quatre chapitres, les relations évoluent comme les êtres, les identités se construisent et s’affrontent, puis se rapprochent. Avec grâce et subtilité, s’appuyant sur des actrices formidables, la réalisatrice a réussi à éviter le mélo et les schémas traditionnels pour créer un parcours bouleversant. Récompenser cette pépite, c’est se faire un magnifique cadeau d’anniversaire.
visuels (c) RP