La sélection de films qui sera projetée pendant le temps de la Quinzaine des Cinéastes, au cours du festival de Cannes, mélange noms peu connus et projets très attendus.
En cette matinée d’annonce d’une sélection conséquente qui sera à voir pendant le temps de Cannes 2024, Fabien Gaffez, directeur des programmes du Forum des Images au sein duquel prend place la conférence, lance une phrase à méditer beaucoup, très riche en sens : il avance que via son travail dans le champ du cinéma, le Forum « essaye de questionner, de plus en plus, […] le concept, le fantasme, l’idéologie de l’auteur tout-puissant ». Il passe ensuite la parole à Axelle Ropert et Rosalie Brun, respectivement co-présidente de la Société des Réalisateurs de Films – l’association de cinéastes qui chapeaute la Quinzaine des Cinéastes – et déléguée générale de cette même SRF. La première saluant notamment « toute l’équipe de la Quinzaine qu’on a vue beaucoup travailler cette année […] s’angoisser, souffrir, avoir des moments de panique, des moments d’enthousiasme, travailler 23 heures sur 24 ». Avant que Julien Rejl, le délégué général de la section, ne se prête à ré-affirmer le rôle de cette dernière aux côtés des cinéastes de tous pays, saluant notamment le cinéma d’Amérique du Sud, ayant montré lors de la phase de sélection « une vitalité, une singularité, une énergie sans équivalent ». L’Argentine donnant notamment à découvrir, encore et toujours, « une nouvelle génération de cinéastes ultra réjouissants, ultra créatifs ». On se prépare quelque peu, donc, à guetter les noms nouveaux au sein de cette annonce faite aujourd’hui. On apprendra par ailleurs, vers la fin de la conférence, que le long-métrage qui trônera à leurs côtés pour une séance-hommage à une compagnonne de route de la Quinzaine des Cinéastes sera Histoires d’Amérique : Food, Family and Philosophy, signé par feu Chantal Akerman en 1989. Julien Rejl le qualifie, vis-à-vis de l’œuvre de la réalisatrice, de « film-charnière, le premier dans lequel Akerman décida de se confronter à ses racines juives ». On apprend également que les rencontres d’après-séance avec les signataires des films seront toujours au menu en 2024, avec pour la première fois aussi un « Choix du public » remis à l’un des titres de la sélection, via votes, et doté par la Fondation Chantal Akerman.
Au sein de cette section de « l’exploration des formes », selon les mots de Julien Rejl, on trouve en 2024 un mélange de projets attendus de longue date et de noms bien moins populaires. Moins marquée sur ce dernier bord que la sélection de l’année d’avant, cette programmation donnera par exemple à voir Les Pistolets en plastique, le nouveau film de Jean-Christophe Meurisse, le réalisateur qui fut d’abord pilier de la compagnie théâtrale Les Chiens de Navarre, avant-gardiste, expérimentale et furieuse. Cette fois, il prend pour point de départ pour son scénario l’affaire Xavier Dupont de Ligonnès, et promet a priori au spectateur une nouvelle comédie sociale corrosive bien dans le ton de ses précédents films. De même, le duo Caroline Poggi et Jonathan Vinel est désormais assez suivi par pas mal de cinéphiles : leur nouveau film, Eat the night, entraînera ses héros dans un jeu vidéo immersif au fil duquel on croisera a priori leurs thèmes fétiches, tels la recherche d’identité. Avec aussi dans la programmation Patricia Mazuy, désormais assez incontournable : sa Prisonnière de Bordeaux observera deux femmes rassemblées par des visites aux hommes qu’elles aiment, en prison, et glissant lentement dans une intrigue façon thriller. Avec Isabelle Huppert et Hafsia Herzi dans les rôles centraux. On retrouve aussi cette année le très remarqué Jonas Trueba : dans Septembre sans attendre, il suivra un couple invitant leurs amis pour une fête célébrant leur rupture. Avec sans doute un peu de mélancolie au programme, bien sûr. Aux côtés de ces longs, on trouve enfin le film d’animation attendu par beaucoup Anzu, chat-fantôme, des japonais Yôko Kuno et Nobuhiro Yamashita, centré sur la rencontre entre une petite fille en vacances chez son grand-père et un félin-spectre qui sert ce dernier. Ou encore Une langue universelle, du canadien Matthew Rankin : connu des spectateurs de festivals programmant des ovnis filmiques, le réalisateur peint cette fois sa ville de Winnipeg, avec un vernis d’absurdité désirant apparemment en appeler à certains des travaux de feu Kiarostami.
La sélection au sein de cette programmation d’A son image, le nouveau film du désormais incontournable Thierry de Peretti, suggère une réflexion : cet itinéraire d’une photographe de presse au long de plusieurs décennies d’histoire corse se centre sur l’île et son identité au même titre que Le Royaume, film proposé, lui, au sein d’Un Certain Regard, et réalisé par Julien Colonna. Un diptyque qui donnera l’occasion, peut-être, de plonger dans un bain de questions.
Assez judicieusement, le film qui ouvrira la Quinzaine des Cinéastes en 2024 sera Ma vie ma gueule. On peut trouver qu’il s’agit d’un bon choix : il honore la mémoire de sa réalisatrice, Sophie Fillières, morte l’année dernière. Il constituera une sorte d’autoportrait, avec dans le rôle principal Agnès Jaoui, absolument remarquable à l’écran dans ses derniers films sortis. Ici, elle sera Barbie, femme de 55 ans qui se débat avec une foule de choses venant l’oppresser, et se livrant au final à un voyage au ton un peu absurde. On espère que cet opus sera au niveau des longs-métrages les plus réussis de Sophie Fillières, Arrête ou je continue en tête.
Si le film indien Sister midnight de Karan Kandhari avait été évoqué par certains comme un candidat attendu à la sélection, avec son scénario mêlant femme seule sans foi ni loi et vampires, on retrouve également dans la liste l’américain Tyler Taormina, pas mal pressenti aussi. Déjà un peu remarqué en France, il reste cependant toujours un peu un nouveau venu : il donnera à suivre une nuit de Noël cocasse et décalée dans son Christmas Eve in Miller’s Point. A ses côtés, on croise aussi Eephus, film de Carson Lund, compatriote à lui qui a le même producteur, et qui signe la chronique d’une journée d’une équipe de baseball amatrice, au sein d’une petite ville américaine. Dans cette catégorie se range aussi Good One, d’India Donaldson et Gazer de Ryan J. Sloan, tourné par son signataire « sur ses week-ends » avec une équipe très réduite.
Le titre totalement incontournable de cette sélection reste Los hiperboreos. Car il est le nouveau long-métrage d’animation du duo chilien Joaquin Cocina et Cristobal Leon. Remarqués en 2018 par les spectateurs de festivals montrant des ovnis filmiques, ils le furent aussi par les abonnés à Mubi, avec La Casa Lobo, un film d’animation pour adultes éblouissant. Techniquement étourdissant, il se déroulait dans une cabane habitée par une enfant s’étant échappée d’une colonie gérée par un ancien nazi pédophile. Sans que rien ne soit montré de façon directement figurative : la caméra avançant de pièce en pièce, alors que des motifs se traçaient sur les murs et s’animaient ensuite. Hypnotique, très noire, très maîtrisée, cette pépite laisse présager le meilleur vis-à-vis de la nouvelle tentative du duo. Qui mêlera plusieurs techniques d’animation, et se passera entre plusieurs dimensions.
Avec Something old, something new, something borrowed, l’argentin Hernan Rosselli auscultera à son tour la situation de son pays, en suivant une famille de bookmakers au sein de laquelle les affaires sont reprises par la mère et la fille. La révélation, peut-être bien, d’un nouveau style singulier au sein d’un pays qui en compte à présent un grand nombre, et où le cinéma se trouve menacé.
Côté Japon, on retrouve dans la programmation Desert of Namibia, réalisé par Yôko Yamanaka et attaché à une jeune héroïne en perte de repères, à l’image de sa génération égarée dans un Tokyo qui la perd. Le taïwanais Mongrel réalisé par Chiang Wei Liang et You Qiao Yin, se centre, lui, sur un sans-papier essayant de survivre comme aide-soignant. Le long-métrage égyptien East of noon d’Hala Elkoussy a pour héros, pour sa part, un musicien tentant de résister dans un monde piégé hors du temps. Tandis que To a land unknown de Mahdi Fleifel a pour sujet deux jeunes palestiniens coincés en Grèce. Enfin, si Savanna and the mountain de Paulo Carneiro prendra place parmi des femmes au Portugal, La Chute du ciel, des brésiliens Eryk Rocha et Gabriela Carneiro da Cunha, est un documentaire qui suivra les rites des indiens yanomami.
Si, parmi ces derniers longs cités, une ou deux révélations peuvent être espérées, les courts restent là aussi pour remplir cet office. Avec, côté France, Les Météos d’Antoine de Jules Follet, un court-métrage documentaire offrant un œil singulier sur le monde paysan actuel, et du côté des Etats-Unis, Very gentle work de Nate Lavey. Ainsi qu’Après le soleil, de Rayane Mcirdi, réflexion sur les origines et la famille produit entre France et Algérie, ou Mulberry fields signé par Nguyen Trung Nghia et originaire du Vietnam. Ou encore le court d’animation japonais Extremely short de Koji Yamamura qui ne dure que deux minutes, ou Immaculata, de Kim Lêa Sakkal, originaire du Liban et relevant du fantastico-horrifique. Et pour finir, face à eux, un argentin, Our own shadow d’Agustina Sanchez Gavier, et deux portugais : The moving garden d’Inês Lima et When the land runs away de Frederico Lobo. Sans oublier La Factory, programme de formation qui invitera cette année quatre jeunes réalisateurs philippins à cheminer, pendant le temps de la Quinzaine, chacun avec un cinéaste plus confirmé. Pour découvrir si les quelques promesses de cette programmation sont effectivement tenues, rendez-vous à partir du 15 mai prochain.
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Visuel : affiche pour la Quinzaine des Cinéastes, 2024. D’après une peinture de Takeshi Kitano. Conception graphique : Michel Welfringer.