Cannes, Quinzaine : « L’Engloutie », quand les Alpes s’emparent de la Quinzaine

1899. Par une nuit de tempête, Aimée, jeune institutrice républicaine, arrive dans un hameau enneigé aux confins des Hautes-Alpes. Malgré la méfiance des habitants, elle se montre bien décidée à éclairer de ses lumières leurs croyances obscures. Alors qu’elle se fond dans la vie de la communauté, un vertige sensuel grandit en elle.

Filmer l’hostile

Poétique, à la hauteur de son titre, on a quitté le soleil un petit temps pour la froideur de l’hiver des Alpes. La réalisatrice, qui avait auparavant dirigé un documentaire d’archives sur Anita Conti, continue d’explorer un univers hostile, mettant ses personnages à l’épreuve — à la fois physique et psychologique. Reprenant les codes du western avec la lenteur et la délicatesse qui rappellent Portrait de la jeune fille en feu, L’engloutie raconte l’arrivée dans l’inconnu et notre confrontation à notre propre ignorance.

Inspirée d’histoires familiales et de légendes, Louise Hémon tourmente son héroïne : professeure cartésienne de la fin du XIXe siècle devenue institutrice dans un petit village de montagne où règnent les légendes et la magie. Sans donner de réponse, la réalisatrice interroge dans une atmosphère mystique notre rapport à la vérité, au désir et à l’autre.

Elle raconte aussi la difficulté du terrain : même en fiction, tourner peut être une épreuve, autant pour les acteurs que pour l’équipe technique. Mais l’adversité de la nature renforce aussi la poésie et le sens : Galatéa Bellugi, les yeux bleus, la peau pâle et les joues rougies par le froid, incarne un personnage perturbé : sa propre domination sur les autres la met à l’épreuve. Son désir de rationalité est sans cesse confronté au mystique.

Faire entrer la poésie

Elle saisit une question d’une séance de questions-réponses qui interroge la morale de son film pour rappeler : le cinéma est le lieu de l’ambiguïté. Elle l’affirme, elle préfère poser des questions plutôt que d’y répondre. En partant de récits familiaux — écrits et oraux — de la famille de sa mère, de nouvelles familiales mais aussi de récits anthropologiques, Louise Hémon mêle même au sein de son processus d’écriture science et légendes.

Tout au long du film, marqué par des tableaux magnifiques, où la montagne incarne elle-même l’hostilité autant que la poésie — peuplée d’avalanches, mais aussi de rayons de soleil et de lune —, la réalisatrice laisse des indices : qu’est-ce qui est réel ? Qu’est-ce qui ne l’est pas ? Nul ne sait, mais parfois regarder les hommes écouter le soleil à l’abri du monde suffit.

En ponctuant son film de touches d’humour, de mysticisme, de drame et de désir, Louise Hémon transcende les genres et invente un film où l’histoire n’est pas figée, mais bouge en permanence — à l’instar des contes et des fables dont il est peuplé. À voir et à revoir donc pour le redécouvrir !

crédit photo : Take Shelter