Pour son premier long-métrage, Fario, Lucie Prost signe une sensible et onirique chronique écologique sur fond d’histoires familiales et de retour aux sources.
L’écran est sombre, la musique cogne les tympans. Les couleurs sont chaudes, l’ambiance sensuelle, et Léo balade sa belle gueule d’ange fatigué. Il ressemble à toute cette jeunesse qui étourdit une part d’elle-même de « boum-boum » en drogues pour oublier qu’elle a perdu son envie et sa libido aussi. Jeune ingénieur brillant, Léo vit à Berlin depuis quelque temps, mais il doit rentrer.
Léo est parti. Léo rentre. Et dans le Doubs, rien ne paraît doux. On apprend qu’il ne doit être que de passage pour vendre les terrains agricoles de son père décédé à une entreprise de forage de métaux rares, et que celles et ceux qu’il a laissé sur les lieux de l’enfance ne sont plus d’accord pour vendre. Alors, on comprend que ce n’est pas toujours facile de ne faire que passer quand on a fui. On comprend qu’il va falloir reprendre là où les choses ont été laissées, avec sa mère Nelly, sa petite sœur Louise, son cousin Gus et son amie de toujours Mia.
Lucie Prost manie les tons froids et fait planer une austérité emplie d’amour et de secrets. Avec beaucoup de sensibilité, la réalisatrice croque ses personnages par leurs échanges et leurs silences. Elle manie un art de la réplique, de la définition. On découvre à travers le taiseux Léo les autres personnages, comme si lui aussi les redécouvrait. Une mère qui n’est « pas dingue tous les jours », et qui comme toutes les mères, réapprend, de maladresses en butte-en-blanc, à parler avec son fils. Une petite sœur qui a grandi, qui reste une enfant, qui s’affirme et qui confronte, qui le pousse à s’affirmer. Un cousin comme un frère, qui convoque ses complicités et ses jalousies. Une amie, la seule à qui il parle franchement, sans détours, mais avec qui il y a le plus de non-dits.
La question écologique s’écrit en filigrane de ce film, de la question du rachat des terres pour la mise en place d’une extraction minière d’ampleur aux farios, ces truites de la rivière. Elles ont changé, elles l’attaquent, elles ont muté, Léo en est sûr. Il en est sûr car il les connaît bien : cette rivière, il l’a arpenté, toute son enfance, avec père. Ce père-même dont on ne sait rien, ce père qui plane et pèse partout. La métaphore est belle, le père e(s)t la rivière. Le père est mort, et si la rivière se mourrait ?
Alors Léo arpente, encore et encore, enquête, nuit après nuit, dissèque les truites comme les gouttes d’eau. Obsessionnel, il se noie, au propre comme au figuré, dans cette eau et dans ses souvenirs, soumis à la tension de l’enfance. Il perd pied en cherchant la route, et guettant la chaleur retrouvée. Entre hallucinations et réalité, portée par un casting fort, Lucie Prost peint des jeunesses, des liens recomposés, un territoire, une quête de soi qui que l’on a/va toustes traverser.
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