Projeté en avant-première au Festival international d’Albi, le nouveau film de Nabil Ayouch a fait salle comble.
Le film s’ouvre sur une chasse à courre, celle d’une femme poursuivie par un groupe d’hommes, en pleine nuit à travers les bois. Cette traque, c’est celle des Cheikhates (prononcer le kh comme la jota espagnol), chanteuses populaires aussi fascinantes que décriées, dont la tradition orale a traversé les âges. Leur poésie onirique et provocante qui vient des monts reculés de l’Atlas, est une longue complainte sensuelle et fiévreuse. Scandé sur des mélodies entraînantes, le rythme obsédant des derboukas la rend aussi enivrante pour l’esprit qu’un test de derviche tourneur. Avec le temps, cette expression libre qui chante l’amour et le désespoir comme un blues des djebels s’est éloigné de son essence artistique pour gagner les cabarets des villes où viennent s’encanailler les citadins et la bourgeoisie.
C’est cette perspective que nous livre Nabil Ayouch dans son dernier film. En immersion dans l’empire chérifien, il nous emmène loin du Maroc des cartes postales, pour nous faire découvrir une expression méconnue de la culture populaire marocaine. Il nous raconte sous la forme d’un portrait naturaliste l’histoire d’une chanteuse – une Cheikha – qui s’accroche à l’authenticité de son art. Aïla, interprétée par Nisrin Erradi – rayonnante – va dans sa quête de reconnaissance, surmonter la brutalité des rustres montagnards et serrer les dents devant l’hostilité méprisante de la grande ville. Au bout de sa course, elle découvrira que son éthique et sa liberté sont les droits inaliénables de sa condition de femme puissante.
Pour comprendre l’énergie de Touda, son personnage principal, le cinéaste a glissé des petites chevilles subtiles qui caractérisent sa mécanique invisible : des parents humbles et aimants qui ne jugent pas, un petit garçon différent à croquer qui mange des yeux sa maman, un vieux musicien bienveillant et intraitable. Un film qui rend hommage à la persévérance intime des artistes face à la cancel culture, que même les traditions séculaires dans une civilisation conservatrice ne parviennent pas à soutenir.
Il y a la fiction narrative ; il y a le film sociologique à la limite de l’anthropologie ; et il y cette intersection sensible, signe d’un travail militant. C’est précisément à cet endroit du cinéma que se tient Nabil Ayouch. Deux obsessions focalisent sa scrutation du réel. Les femmes et la jeunesse, dans leurs conditions existentielles. Après le transgressif Much loved, qui figure la prostitution marocaine, et après Haut et Fort exaltation d’une jeunesse en mode hip-hop, il a construit, une fois de plus dans ce nouveau long métrage, des personnages touchants qui transpirent d’humanité.
Photo : © Nabil Ayouch
Sortie en France le 18 décembre .