« En Garde » de Nelicia Low : Mon frère, ma Bataille

En Garde s’ouvre sur des plans au grain froid et cotonneux d’une rivière agitée surplombée d’un grand pont au milieu de collines brumeuses. Une voix féminine, en off, hurle « Zijie ! » à plein poumon. La caméra, jusque là fixe, entre en mouvement lorsqu’elle se met à capturer le corps d’un garçon se débattant sous l’eau. C’est donc lui, Zijie. Ambiance. La voix entre dans le cadre sur le plan suivant sous les traits d’une femme à bout de souffle dévalant le coteau, stoppant soudainement sa course avant de hurler un autre prénom, celui de Zihan. Ce dernier est introduit à l’écran de façon inquiétante avec un plan subjectif en contre-plongée sous la surface de l’eau, du point de vue de Zijie entrain de se noyer. Et ce Zihan reste étrangement immobile face à l’urgence de la situation.

Pour connaître la fin de cette séquence d’ouverture éprouvante, il faut évidemment se rendre au cinéma. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces premières minutes de film instaurent d’entrée, et avec une maîtrise glaçante, le lien complexe qui unit les deux personnages au centre de l’intrigue. En effet, la réalisatrice made in Singapour décortique dans En Garde la relation tortueuse entre Zijie (Hsiu-Fu Liu), jeune talent prometteur de l’escrime, et son frère aîné Zihan (Tsao Yu-Ning), également escrimeur et fraîchement libéré de prison après la mort accidentelle d’un adversaire lors d’une compétition. Un accident qui n’en est pas un pour la mère (Ning Ding) des garçons, persuadée que son premier fils est dérangé et dangereux. Tandis que Zihan aide secrètement son petit frère à s’entraîner pour une qualification aux championnats nationaux, une dispute éclate et Zijie se met alors à douter de l’innocence de son aîné.

Je t’aime, moi non plus

En s’inspirant de sa propre relation tourmentée avec son grand frère atteint d’autisme, la réalisatrice Nelicia Low interroge crûment les liens fraternels, parfois empreints d’une idéalisation vécue par l’un des membres d’une fratrie. Ici, Zijie n’imagine pas une seule seconde que son aîné puisse être un criminel perturbé et ce, à cause de ses souvenirs d’enfance qui prouvent pour lui la bonté et la gentillesse de Zihan. Idéalisant son frangin comme un être attentionné et aimant à son égard, Zijie se retrouve progressivement entre deux eaux. L’amour de ce frère est-il réel, ou depuis toujours complètement fantasmé par son cadet ? Une thématique aussi dérangeante que fascinante pour celles et ceux qui, comme moi, font partie d’une fratrie.

Ancrer cette relation houleuse dans le milieu de l’escrime ajoute mystère et suspense à l’ensemble. L’angoisse que Zihan puisse potentiellement vriller lors d’un entraînement plane sur la totalité de En Garde, titre qui prend par ailleurs rapidement des allures d’avertissement. Dès lors que Zihan apparaît à l’écran, son petit frère est aux aguets, comme le spectateur, scrutant le moindre de ses faits et gestes pour tenter de le décrypter et le comprendre. En effet, Zihan envoute autant qu’il terrifie les différents protagonistes qui traversent le film. Pour ne rien spoiler, on ajoute seulement qu’En Garde laisse subtilement planer le doute d’un bout à l’autre de son récit, appuyé par un mélange des genres savamment dosé. Oscillant du thriller haletant au drame familial, en passant par la romance adolescente, ce premier essai de Low convainc pleinement jusqu’à son acte final, bouleversant et profondément glaçant.

En Garde de Nelicia Low. Avec Tsao Yu-Ning, Hsiu-Fu Liu, Ning Ding… 01h46. Singapour, Taïwan, Pologne. Sortie le 31 Décembre 2025.