Un des grands évènements de la semaine est le retour de l’égérie érotique des années 1970. En 1968, 9 millions de téléspectateurs en France avaient plébiscité Emmanuelle, l’adaptation du livre culte d’Emmanuelle Arsan. Combien seront-ils et elles pour voir la version 2.0 d’Audrey Diwan et Rebecca Zlotowsky avec Noémie Merlant ? Notre critique…
Le personnage féminin du livre et film culte ne choisit pas Bangkok, mais plutôt Hong Kong. Elle a le pouvoir car elle contrôle la satisfaction des clients dans un grand palace tenu par une Naomi Watts délicieusement ambiguë. Emmanuelle continue de plisser ses yeux de biche et de laisser les bretelles de sa robe de soie au dos nu interminable pendre à bon escient. Dans un film qui a la volonté d’en faire un personnage d’aujourd’hui, maîtresse de sa vie plutôt que d’un mâle blanc.
En tant que réalisation, c’est assez raté, maniéré et souvent gênant. On attendait énormément d’Audrey Diwan, Lion d’or pour son adaptation d’Annie Ernaux, L’évènement, et de sa binôme au scénario Rebecca Zlotowski, qui avait notamment révélé Léa Seydoux et Zahia à l’écran. Ces quadragénaires qui savent réfléchir l’époque ont des choses à nous dire sur le plaisir des femmes et leur exploitation. Biberonnées aux thrillers érotiques à la Basic Instinct des années 1970, elles ont assisté et même accompagné ce mouvement sociétal majeur qu’est #Meetoo avec leurs textes et leur cinéma… Et elles ont le culot de proposer un film érotique « grand public ». D’abord parce que l’on n’en avait pas vu de cette envergure depuis longtemps. Ensuite parce qu’elles s’emparent d’un des bastions du patriarcat malgré les Anaïs Nin et les Emmanuelle Arsan qui ont écrit mais pas toujours su dépoussiérer les vieux fantasmes des mâles dominants. Faire de l’érotisme féministe, c’est toujours un challenge…
… Et un horizon : aujourd’hui, les femmes parlent, et pas que pour exprimer des fantasmes anciens : elles peuvent inventer et régénérer les choses. Du coup on espérait qu’Emmanuelle se libère de son fauteuil en osier. On attendait beaucoup du choix marqué de Noémie Merlant, tellement peu transparente aux projections de fantasmes. Mais son scénario qui conserve le message minimal (Emmanuelle cherche à jouir et n’y arrive pas, c’est pour cela qu’elle a d’incessantes relations sexuelles) et la mise en scène plombent ce projet Emmanuelle qui ne partage que la frustration et la déprime de son héroïne. À ce tarif là, on aurait préféré une Emmanuelle aux cheveux blancs qui nous fasse une analyse à voix haute de ses ébats d’antan. Sans tambour ni sexe triste. Reste le personnage masculin, incarné par le magnétique Will Sharpe qui sait, lui, créer un mystère propre à l’érotisme. Un héros plausible pour le deuxième volet de la série ?
Emmanuelle, d’Audrey Diwan avec Noémie Merlant, Will Sharpe, France, 2024, 102 minutes, Pathé. Sortie le 25/09/2024.
Visuel : © 2024 CHANTELOUVE – RECTANGLE PRODUCTIONS – GOODFELLAS – PATHÉ FILMS